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III


 
Te souviens-tu mon Lou de ce panier d’oranges
Douces comme l’amour qu’en ce temps-là nous fîmes
Tu me les envoyas un jour d’hiver à Nîmes
Et je n’osais manger ces beaux fruits d’or des anges
 
Je les gardai longtemps pour les manger ensemble
Car tu devais venir me retrouver à Nîmes
De mon amour vaincu les dépouilles opimes
Pourrirent J’attendais Mon cœur la main me tremble
 
Une petite orange était restée intacte
Je la pris avec moi quand à six nous partîmes
Et je l’ai retrouvée intacte comme à Nîmes
Elle est toute petite et sa peau se contracte
 
Et tandis que les obus passent je la mange
Elle est exquise ainsi que mon amour de Nîmes
Ô soleil concentré riche comme mes rimes
Ô savoureux amour ô ma petite orange
 
Les souvenirs sont-ils un beau fruit qu’on savoure
En mangeant j’ai détruit mes souvenirs opimes
Puissé-je t’oublier mon pauvre amour de Nîmes
J’ai tout mangé l’orange et la peau qui l’entoure
 
Mon Lou pense parfois à la petite orange
Douce comme l’amour le pauvre amour de Nîmes
Douce comme l’amour qu’en ce temps-là nous fîmes
Il me reste une orange
un cœur un cœur étrange

IV

 
Tendres yeux éclatés de l’amante infidèle
Obus mystérieux
Si tu savais le nom du beau cheval de selle
Qui semble avoir tes yeux