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Adieu petite amie ô Lou mon seul amour
Ô mon esclave enfuie
Notre amour qui connut le soleil pas la pluie
Fut un instant trop court

La mer nous regardait de son œil tendre et glauque
Et les orangers d’or
Fructifiaient pour nous Ils fleurissent encor
Et j’entends la voix rauque

Des canons allemands crier sur Mourmelon
— Appel de la tranchée —
Ô Lou ma rose atroce es-tu toujours fâchée
Avec des yeux de plomb

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Ô Lou Démone-Enfant aux baisers de folie
Je te prends pour toujours dans mes bras ma jolie

*

Deux maréchaux des logis jouent aux échecs en riant

Une diablesse exquise aux cheveux sanglants se signe à l’eau bénite

Quelqu’un lime une bague avec l’aluminium qui se trouve dans la fusée des obus autrichiens

Un képi de fantassin met du soleil sur cette tombe
Tu portes au cou ma chaîne et j’ai au bras la tienne
Ici on sable le champagne au mess des sous-officiers
Les Allemands sont là derrière les collines
Les blessés crient comme Ariane
Ô noms plaintifs des joies énormes

Rome Nice Paris Cagnes Grasse Vence Sospel Menton Monaco Nîmes

Un train couvert de neige apporte à Tomsk en Sibérie des nouvelles de la Champagne

Adieu mon petit Lou adieu
Adieu Le ciel a des cheveux gris