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Mes souvenirs ce sont ces plaines éternelles
Que virgulent ô Lou les sinistres corbeaux
L’avion de l’amour a refermé ses ailes
Et partout à la ronde on trouve des tombeaux

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Et ne me crois pas triste et ni surtout morose
Malgré toi malgré tout je vois la vie en rose
Je sais comment reprendre un jour mon petit Lou
Fidèle comme un dogue avec des dents de loup
Je suis ainsi mon Lou mais plus tenace encore
Que n’est un aigle alpin sur le corps qu’il dévore

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Quatre jours de voyage et je suis fatigué
Mais que je suis content d’être parti de Nîmes
Aussi mon Lou chéri je suis gai je suis gai
Et je ris de bonheur en t’écrivant ces rimes

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Cette boue est atroce aux chemins détrempés
Les yeux des fantassins ont des lueurs navrantes
Nous n’irons plus au bois les lauriers sont coupés
Les amants vont mourir et mentent les amantes

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J’entends le vent gémir dans les sombres sapins
Puis je m’enterrerai dans la mélancolie
Ô ma Lou tes grands yeux étaient mes seuls copains
N’ai-je pas tout perdu puisque mon Lou m’oublie

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Dix-neuf cent quinze année où tant d’hommes sont morts
Va-t’en Va-t’en Va-t’en aux Enfers des Furies
Jouons jouons aux dés les dés marquent les sorts
J’entends jouer aux dés les deux artilleries