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& en cas de refus il lui annonçoit à lui-méme la guerre. Bosto-Cham se seroit épargné bien des malheurs, s’il eût été plus traitable & moins audacieux.

§. 21. Une déclaration si hautaine ne pût gueres manquer d’avoir les suites qu’elle entraîna. Amulon-Bogdo-Cham la reçut comme un défi dans les formes, & ne differa plus de prendre les armes. D’abord il fit marcher successivement plusieurs corps d’Armée, mais ils ne firent pas leur devoir. Bosto-Cham fut assez heureux pour les mettre tous en suite à mesure qu’ils venoient à lui. Les Troupes de ce Prince étoient si braves, ou celles de l’Empereur si poltronnes, qu’un jour 1000. Calmuques battirent 20000. Chinois, & une autre sois 10000. en renverserent 80000.

§. 22. La Providence n’éleve souvent les mortels au faite du bonheur que pour leur faire mieux sentir leur chûte. Bosto-Cham en est un illustre exemple. Amulon-Bogdo-Cham, pour mettre fin aux progrès de son ennemi, resolut de le combattre avec toutes ses forces, & de l’accabler par le nombre. Il assembla 300000. hommes, bien pourvûs de tout ce qu’il falloit pour une vigoureuse guerre, & un train d’artillerie de 300. pieces de Canon.

§. 23. Cette formidable Armée, dix fois plus forte que celle des Calmuques, enveloppa de toute part leur Camp. L’Empereur étoit presque assûre de la victoire : mais preferant toujours la voye de la douceur à la violence , il voulut bien offrir encore la paix à Bosto-Cham avant que de le charger. Il la lui fit proposer à des conditions aussi honorables & aussi avantageuses, qu’on eut dit qu’il se fût lui-même trouvé dans l’embarras où son Ennemi se trouvoit. Bosto-Cham cependant enflé de ses prospéritez passees, ne connut pas ou meprisa le peril qui se menaçoit. Il rejetta toutes ces propositions avec dedain, & força, pour ainsi dire, l’Empereur à se servir de tous ses avantages. Les deux Armées se livrerent donc enfin une bataille sanglante. Bosto-Cham la perdit, & eut bien de la peine à se sauver, avec une poignée de suyards, dans les montagnes voisines.

§. 24. Il fut d’autant plus sensible à ce malheur, qu’il se l’etoit attiré par sa faute. Mais ce qui l’affligeoit le plus, ce sut la perte de Guny, ou Any, sa femme, qui fut tuée dans la deroute. L’Empereur ayant trouvé son corps parmi les morts, lui fit couper la tête, & l’emporta avec lui pour en orner son triomphe.

Le malheur de Bosto-Cham ne se borna pas à cette catastrophe. Manquant de vivres & de fourage dans les montagnes où il s’étoit retiré, la plus grande partie de ce qu’il avoit encore de monde & de chevaux crêverent de faim & de misere. Il fut lui-même trop heureux d’en échaper avec un petit nombre de ses gens, & de retourner ainsi presque seul dans ses Etats.

§. 25. Arrivé chez lui, il passa deux ans dans une mortelle affliction, exposé aux reproches & aux plaintes de ses sujets, qui se ressentoient tous de sa defaite. Ne voyant d’autre moyen pour se rélever de son infortune, il voulut tenter d’en sortir par la voye de la negociation, & se détermina à envoyer Septenbaldiur, son fils, au Dalai-Lama à Barantola. Son intention étoit apparemment de recourir à l’interposition de ce Pontife, & de s’en remettre à son arbitrage qu’il avoit ci-devant refuse de reconnoître. Mais Abay Dola Bek, Gouverneur de la ville de Camull, quoique dépendant de Bosto-Cham, fit arrêter Septenbaldiur qui passoit par son Gouvernement, & la petite suite qui l’accompagnoit. Il les envoya prisonniers à Peking & se soûmit lui-même avec tout son Gouvernement à Amulon-Bogdo-Cham.[1]

§. 26. Ce fut un présent bien agréable à l’Empereur de la Chine. Il fit trancher la tête aux prisonniers, & fit sçavoir au Gouverneur de Camull, qu’il le confirmoit dans son poste, & qu’il lui promettoit sa grace & sa protection, à condition qu’il ne reconnoîtroit deformais d’autre domination que celle de l’Empire de la Chine; faute de quoi il le menaçoit des plus cruels supplices, & de l’exterminer lui & toute sa race.

§. 27. La nouvelle de ce desastre mit le comble au désespoir de Bosto-Cham. Il convoqua tous ses sujets, les exhorta à vivre en paix & en bonne intelligence entre eux, & leur ayant donné la liberté de se retirer chacun où il lui plairoit, il prit du poison & mourut.

§. 28. Telle fut la fin de Bosto-Cham, Prince d’un grand génie, & qui avoit beaucoup de valeur. Une suite d’heureux succès l’avoit rendu la terreur de tous ses Voisins, & l’avoit comblé de gloire. Un seul malheur le plongea dans le mépris & dans le néant. Tant il est vrai, que les vicissitudes de la fortune sont de tout pays, & que le vrai secret de se mettre à l’abri de ses revers, c’est de se defier à tems de ses faveurs.

§. 29. Après le decès de Bosto-Cham, Zigan-Araptan, dont il a été parlé ci-dessus, reparut sur la scene. Il s’étoit tenu caché pendant la vie de son Oncle ; mais dès qu’il eut appris sa mort, il vint se présenter aux Calmuques & demanda à lui succéder. Il étoit effectivement le plus proche héritier. Les Calmuques, dont il s’étoit acquis l’affection dès son enfance, ne balanceront pas de lui prêter hommage. Les Bouchars que Bosto-Cham avoit subjuguez quelque tems auparavant, suivirent cet exemple. D’autres Provinces qui refusoient de s’y conformer, y furent forcées par les armes.

§. 30. Zigan-Araptan ayant ainsi été reconnu par tous les sujets de Bosto-Cham, les Bouchars le conduisirent un jour vers un endroit particulier. C’étoit un petit bois sort agréable par sa situation, & qui ne

  1. Quoique l’Auteur de cette Relation n’ait pas marqué l’époque des évenemens qu’il rapporte, nous croyons pouvoir avancer sans témerité, que celui dont il est parlé dans ce paragraphe arriva au commencement de l’annee 1697. Le Journal que le P. Gerbillon nous a laisse du septieme Voyage qu’il fit en Tartarie à la suite de l’Empereur Cang-hi fixe nos conjectures à cet  egard. A la page 457. du Tome IV. de la Description de la Chine, ce Pere fait mention du fils du Caldan ou Roi des Eluths, avec lequel l’Empereur étoit alors en guerre, qui fut pris par les gens de Hami & amené à ce Prince. Le Pere Gerbillon le nomme Sepden baljou, & l’Auteur de la Relation écrit Septenbaldiur. Cette différence qui peut provenir de celle qu’il y a entre les prononciations Chinoise & Calmuque, n’est pas à beaucoup près si grande que celle qui se recontre dans les autres noms. Reconnoîtroit-on, par exemple, Amulon-Bogdo-Cham, pour l’Empereur Cang hi, Abay Dola Bek pour Tar kamme pec, Camull pour Hami, & Bosto-Cham pour le Caldan? Je ne dis rien des autres ; mais il sera aisé de les debrouiller si l’on veut se donner la peine de confronter l’Histoire de cette Revolution avec les Observations historiques sur la Grande Tartarie que le P. du Halde a tirees des Mémoires du Pere Gerbillon, & qu’on trouve à la page 39. du Tome IV.