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§. 8. La proposition de l’Empereur de la Chine fut acceptée par le Prince des Calmuques, & par celui des Mongales. Leurs Ambassadeurs, & le Deva, de la part du Dalai-Lama, se rendirent au lieu du Congrès. Mais leurs Conférences, malgré les soins du Médiateur, furent sans effet. Les Ambassadeurs des deux Princes, au lieu d’entrer en matière , s’amuserent à se disputer la préséance.

§. 9. Celui de Bosto-Cham soutint, qu’elle étoit dûë à son maître par deux raisons; l’une, parce qu’il descendoit en ligne directe de Zingis-Cham, Prince anciennement connu & fort renommé parmi les Tartares ; l’autre, parce que la puissance des Calmuques surpassoit d’autant celle des Mongales, que les cheveux de la tête, dit-il, surpassent les poils des sourcils. Cette comparaison piqua l’Ambassadeur de Zain-Cham. Il répliqua fierement, qu’il ne falloit qu’un bon rasoir pour les égaliser, & rompit le Congrès. Ces Ministres eussent épargné bien du sang & bien de malheurs à leurs patries, si, au lieu de perdre le tems en des contestations si frivoles, ils se sussent appliquez à assoupir les différens de leurs maîtres.

§. 10. L’Empereur de la Chine, informé de cet éclat, & prévoyant que la guerre entre les deux Princes seroit inévitable, délibéra longtems sur ce qu’il auroit à faire. D’un côté, il redoutoit les forces & l’humeur intrépide & entreprenante de Bosto-Cham, & il eût été bien aise de le voir humilié ; de l’autre, il étoit à craindre, qu’en le commettant avec les seuls Mongales, moins puissans que les Calmuques, il n’eût de l’avantage sur eux, & que le remede ne fût pire que le mal: & supposé que la partie eût été égale, il lui paroissoit toujours dangereux de voir le feu de la guerre s’allumer si près de sès Etats. Après bien des considerations il résolut enfin d’éloigner le péril le plus qu’il pourrait de ses frontières, & de remettre le reste au tems & à la providence.

§ 11. Il insinua pour cet effet à Zain-Cham, qu’il y auroit trop de risque pour lui d’attendre que Bosto-Cham vint l’attaquer en Mongolie; & que le droit du jeu seroit de le brusquer & prévenir, en fondant le prémier sur lui, & en pénetrant le plus avant que faire se pourroit dans la Calmuquie. Il est sûr que rien ne décontenance plus un ennemi qui se croit le plus fort, qu’une attaque soudaine, dans un tems où il croit qu’on ne songe qu’à se défendre.

§. 12. L’Empereur ayant appuyé ses insinuations par quantité de magnifiques présens , tant en or, qu’en argent, & par les promesses qu’il fit sous main à Zain-Cham de l’assister en cas de besoin de toutes ses forces, celui-ci le laissa persuader. Il assembla le plus de troupes qu’il pût, & malgré la rigueur de la saison, se jetta comme un torrent dans la Calmuquie.

Les commencemens de cette entreprise furent des plus heureux. L’avant-garde de Zain-Cham rencontra & battit à platte couture celle des Calmuques, & Dorzizap, frere de Bosto-Cham, y perdit la vie.

§. 13. Bosto-Cham, quoique surpris par ce coup imprévû, n’en fut point effrayé. Il en reçut la prémiere nouvelle dans le tems qu’il étoit à prendre du Thé. Le Courier qui l’apporta lui ayant annoncé la défaite & la mort de son frere, & que les ennemis n’étoient plus gueres éloignez de lui, il en fut d’abord troublé, & voulant se hâter de donner quelque ordre, il renversa la tasse qu’il tenoit & s’échauda les mains. „ Voilà, dit-il en riant à ceux qui se trouvoient présens, voilà ce qu’on gagne par trop de vivacité. Si j’avois été moins prompt, je ne me serois pas brûlé.

Après cette réflexion rentrant dans son sens froid ordinaire, il pensa à ce qu’il auroit à faire, & ne fut pas longtems à prendre sa résolution. La profondeur des neiges l’empêchant d’agir avec succès, il se contenta de resserrer d’abord son Armée & d’être sur ses gardes, ne doutant pas que les Mongales, enhardis par leur victoire, & ne connoissant pas le pays comme lui, ne lui donnassent bientôt quelque prise sur eux. La suite fit voir qu’il ne s’étoit pas trompé.

§. 14. Afin de derouter d’autant mieux les Mongales qui continuoient d’avancer, Bosto-Cham fit semblant d’avoir peur. Il monte promptement à cheval & publie partout qu’il va tout quitter, & qu’on n’aura de ses nouvelles qu’au bout de quelques années.

§. 15. Le bruit de cette résolution s’étant répandu jusqu’au Camp des Mongales, Zain-Cham double sa marche, & pour atteindre d’autant plutôt le prétendu fuyard, il detache par différens chemins deux Corps volans, l’un de 8000. & l’autre de 3000. hommes. C’étoit à quoi Bosto-Cham s’attendoit. Instruit de cette demarche, il tourne tout-à-coup sur ces deux Detachemens, les enveloppe & les taille en pieces.

§. 16. Il n’en demeura pas-là. Il fit promptement marcher son Armée contre celle de Zain-Cham & lui présenta la bataille. Cette résolution étonna d’autant plus les Mongales qu’ils ne s’y attendoient pas. Une terreur panique les faisit. Ils prennent honteusement la fuite avant que d’être attaquez. Bosto-Cham, les ayant poursuivis & joints, les charge, les met en desordre, & en fait un carnage terrible.

§. 17. On peut juger du nombre des Mongales qui furent tuez à cette bataille, par la quantité d’oreilles & de tresses de cheveux que Bosto-Cham leur fit couper. Il en eut la charge de neuf Chameaux, qu’il envoya à sa residence comme une marque assûrée d’une victoire complette.

§. 18. La joye qu’il en eut ne l’empêcha pas de poursuivre les Mongales qui étoient échapez de cette boucherie. Il se mit à leurs trousses à la tête de 30000. hommes, & les mena , toujours battant , jusqu’à la grande Muraille de la Chine, derriere laquelle enfin Zain-Cham se retira.

§. 19. Les nouvelles de ces succès étant parvenuës à la connoissance de l’Empereur de la Chine, ce sage Monarque recommença à se donner beaucoup de mouvemens pour reconcilier les deux Princes. Il n’oublia, ni persuasions, ni largesses, pour porter Bosto-Cham à quitter les armes. Mais il est rare qu’un vainqueur sçache user avec modération de ses avantages.

§. 20. Trop avide de gloire & de vengeance, Bosto-Cham bien loin d’accepter les riches dons que l’Empereur lui offroit, les lui renvoya, & ferma l’oreille à toute proposition d’accommodement. Il exigea du Monarque de la Chine qu’il eût à lui livrer Zain-Cham & tous ceux qui s’étoient réfugiez avec lui dans ses Etats,