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La même Comédie se joüe trois jours de suite, & ce n’est qu’au soir du troisieme que le nouveau marié est en droit de coucher en effet, & sans témoins, avec sa Femme. Il lui seroit honteux d’y attenter plûtôt. Enfin ce n’est qu’au quatrieme jour qu’il la conduit dans sa propre maison.

Il y en parmi ces mariées, qui stipulent exprès, qu’il leur sera permis de rester encore quelque tems, (souvent c’est une année entiere) chez leurs parens; & en ce cas-si, le Mari y demeure avec sa Femme. Mais s’il arrive que celle-ci vient à déceder sans enfans pendant cet intervale, ses parens héritent de tout ce que son Mari lui avoit donné, à moins qu’au bout de l’année du deuil, ils ne soient assez généreux pour lui en restituer la moitié.

§. 30. La Polygamie est regardée, à la vérité, parmi les Bouchars comme une espece de péché; mais elle n’est jamais punie; & il y en a, qui ont impunement jusqu’à 10. femmes, & au-delà.

§. 31. Tout mari qui n’est pas content de sa femme, est le maître de la renvoyer, en lui laissant emporter tout ce qu’il lui avoit donné durant leur mariage. Et s’il arrive que ce soit la femme qui veut se séparer du mari, elle est pareillement la maîtresse de se retirer, mais sans emporter la moindre chose de ce qui lui apartenoit.

§. 32. Lorsqu’un Bouchar tombe malade, voici le remede dont il se sert; Un Mula lui lit un passage de quelque livre, souffle à plusieurs reprises sur lui, & d’un couteau bien aiguisé fait plusieurs gesticulations tout autour du visage du Malade. Ils s’imaginent que par cette opération ils coupent la racine de la maladie, qu’ils disent d’ailleurs être l’ouvrage du Diable.

§. 33. Enfin, quand un Botuliar est mort, un Prêtre lui met l’Alcoran sur la poitrine, & recite quelques prieres, après quoi on porte le défunt à son tombeau, qu’ils choisissent ordinairement dans quelque bois agréable, & qu’i s’entourent ensuite d’une haye ou d’une espece de palissade.


CHAPITRE IV.

De la derniere Revolution arrivée dans la Petite Boucharie.

§. 1.
BOsto-Cham
, ou Bosugto-Cham, Prince des Calmuques, qui campoit ordinairement sur les bords d’un Lac, appellé Jamisch, & dans les deserts voisins , faisont élever à sa Cour trois Neveux, fils de son frere. Ayant pris en aversion l’aîné de ces Neveux, il résolut de s’en défaire; & n’ayant aucune juste raison à alléguer contre lui, il eut recours à un homme d’une force extraordinaire, qui sous prétexte de joüer & de lutter avec le jeune Prince, le maltraita tellement que peu de jours après il en mourut.

§. 2. Bosto-Cham eut voulu faire passer cette mort pour un effet d’un malheureux hazard: mais on en devina bientôt la véritable cause. Entre autres Zigan-Araptan, Frere puîné du défunt, n’y fut pas trompé. Informé de la disgrace de son aîné, & se croyant menacé du même sort, il jugea qu’il seroit de la prudence de s’éloigner du danger. Suivi de ses partisans & de ses domestiques , il prit le parti de s’évader secretement.

§. 3. Bosto-Cham, fâché de la retraite de son Neveu, mit tout en usage pour le faire revenir. Il ordonna à Danchinombu, frere cadet de Zigan-Araptan , de l’aller chercher par tout le pays, & de tâcher de le ramener.

§. 4. Danchinomba ne manqua pas de diligence. Il joignit son frere au passage d’une riviere, & ayant trouve moyen de l’entretenir , il n’oublia rien pour le persuader de retourner chez leur Oncle. Il lui représenta que leur aîné , par son caractère hautain & remuant, & par sa mauvaise conduite, avoit causé lui-même son malheur ; que Bosto-Cham, forcé par le bien de l’Etat, n’avoit pu se dispenser de le faire mourir ; mais qu’eux, étant exempts des défauts du défunt, n’avoient rien de pareil à appréhender. Enfin il l’exhorta, le pressa, & le conjura de ne pas continuer sa suite.

§. 5. Zigan-Araptan, outré de la mort de son frere, & se défiant de la sincerité d’un Oncle si prompt à dépêcher ses Neveux, fut sourd à toutes les persuasions. Il dit pour toute réponse à son cadet, qu’il pouvoit retourner seul chez Bosto-Cham, & y faire le parasite tant qu’il lui plairoit ; mais que , quant à lui, il étoit résolu de se passer deformais des bonnes graces d’un Prince si dénaturé, & qu’il trouveroit moyen de vivre partout ailleurs, si-non avec le même agrément , au moins avec plus de sûrete. Après cette declaration, sans vouloir plus écouter sôn frere, il remonta à cheval & le quitta.

§. 6. Quelque tems après ces évenemens, Bosto-Cham s’étant brouillé avec Zain-Cham, ou Zuzi-Cham, Prince des Mongales, Amulon-Bogdo-Cham, Empereur de la Chine, pour empêcher ces deux Princes, ses voisins, d’en venir aux armes, interposa son crédit & son autorité, pour tâcher d’assôupir leurs démêlez. Pour cet effet il les requit par un Ambassadeur, nommé Averna-Alcanaibu, de s’assembler dans un endroit sur la frontiere, & de terminer leurs différens à l’amiable, sous la médiation du Dalai-Lama.

§. 7. Le Dalai-Lama est une espece de Pontife, autant respecté parmi les Calmuques & Mongales , que le Pape l’est parmi les Chrétiens Catholiques. La vie de ce personnage est sujette à plusieurs circonstances fort singulieres. Il ne se montre en public que quand il s’agit de se faire adorer. Lorsqu’il s’ingere dans quelque affaire politique, c’est le Deva (qui est une sorte de Plenipotentiaire) qui s’en mêle sous ses ordres. Mais ce qu’il y a de plus particulier, c’est qu’on lui fournit journellement pour sa subsistance une once de farine detrempée avec du vinaigre, & une tasse de Thé. C’est de cette pitance que le Dalai Lama, malgré le haut rang qu’il tient & malgré le grand pouvoir qu’il a, est obligé de se contenter. Je reviens à mon sujet.