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ANTHOLOGIE NÉO-ROMANTIQUE

tins fixés sur ce coin de verdure inespérée dont je n’étais séparé que par quelques pas, et dont la vue seule me soulageait, me réconfortait. Je ne pensais pas que cet instant de joie — c’est dans l’ordre naturel des choses terrestres — serait vite remplacé par de nouvelles douleurs.

Je fus bientôt sur le bord tant désiré de la rivière à l’eau claire et tentante. Je voulus m’arrêter. douce surprise ! je pus m’arrêter : je pus même m’asseoir et me désaltérer sans entendre le tragique « Marche encore ». Je voulus parler et ma voix sortit, puissante, pour crier, les yeux levés vers le ciel : « toi qui, du haut de ton Olympe étincelant, commandes aux choses d’ici-bas et diriges les hommes, dis-moi quel crime abominable j’ai pu commettre pour que s’abattent sur moi ta vengeance et tes malédictions ? N’aurais-tu donc donné la vie à tes créatures que pour en faire les jouets de l’adversité ? Ne les aurais-tu mises sur terre que pour les abîmer dans des pleurs, des chagrins et des malheurs sans fin ? »

À peine eus-je lancé cette imprécation sacrilège que le tonnerre éclata. Des éclairs de feu ravagèrent l’espace ; un vent d’une extrême violence se mit à souffler ; une âcre odeur emplit l’atmosphère, qui devint irrespirable.

Tremblant d’épouvante, je me jetai la face contre le sol, les yeux fermés. À cet instant, je me sentis happé par un tourbillon qui m’emporta dans sa course vertigineuse, et je perdis la notion de toutes choses.

« Allons ! Debout et Marche. »