Page:Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu'au milieu du XIXe siècle.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais la poésie lyrique se tourna aussi vers elle pour donner une forme plus universellement sensible à ses émotions intimes. Il en résulta, qu’à la fin du dix-huitième siècle, les classes pensantes de l’Ukraine Orientale furent obligées de constater qu’à côté du jargon officiel de l’administration russe, introduit à tous les degrés de la hiérarchie après la suppression de l’autonomie ukrainienne, malgré la russification des écoles, malgré la littérature russe éditée à l’usage des Ukrainiens, principalement à Pétersbourg — il existait une littérature variée assez importante, surtout poétique, dans la langue populaire ukrainienne.

Par le fond comme par la forme, elle était beaucoup plus proche de toutes les classes de la population que la littérature officielle russe ou que la littérature religieuse désuète de la première renaissance, et cela décida de son succès. Une grande partie des classes dirigeantes était portée, par la force de l’habitude, à la considérer comme peu sérieuse et ne pouvant servir d’instrument culturel, aussi cacha-t-elle ses sympathies pour la nouvelle littérature sous le masque de l’ironie. Mais déjà à cette époque, même avant les tendances nouvelles du romantisme occidental, il existait ouvertement des « amateurs de la langue petite-russienne », qui témoignaient d’un véritable enthousiasme pour ses créations, les estimant hautement, les considérant comme les égales des plus belles œuvres européennes, les collectionnant, se les communiquant, et, à la première occasion, ils les publièrent.

Quelques dizaines d’années plus tard, ce culte de la langue et de la tradition nationale, tel qu’il s’était formé à la fin du xviiie siècle, trouva un soutien et une sanction dans les idées romantiques qui arrivèrent alors d’occident. La renaissance slave leur servit souvent d’intermédiaire : Tchèques, Polonais, Slaves des Balkans recueillaient avec ardeur les monuments de la littérature nationale et surtout les créations populaires. En Ukraine, à cette époque, le patriotisme national puisait de nouvelles forces dans l’opposition politique contre le régime russe. Le dernier espoir de restaurer l’autonomie avait disparu ; la perte des droits politiques, confisqués au profit de Moscou, se faisait vivement sentir ; il se manifesta dans les hautes classes ukrainiennes une tendance à se rapprocher du peuple et à chercher un soutien dans cette grande victime de l’autocratie moscovite. La pénible situation économique et sociale de ces masses s’empirait encore, grâce à l’obscurantisme intellectuel,

XIV