Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 17.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.
236
Voyages

l’auroient peut-être porté à examiner notre affaire avec un soin plus exact. Mais, monsieur, est-ce à des infortunés d’oser se flatter d’être accueillis & écoutés ? non, cette douceur n’est réservée qu’à des personnes qui, par la richesse de leurs habits & le cortège qui les accompagne, annoncent le faste & l’opulence.

Réflexions inutiles. Que vous dirai-je enfin ? Un jugement définitif nous a entièrement ruinés. Lorsque ma mère apprit la perte de notre procès, son esprit & sa vertu plièrent à ce dernier coup de notre infortune ; elle n’en put supporter la rigueur. La dure économie qu’il avoit fallu garder depuis long-tems pour vivre & pour subvenir aux dépenses d’une procédure inévitable, le retranchement total de mille petites délicatesses dont on a formé l’habitude, & dont la privation devient un surcroît de maux, le chagrin de voir ses enfans devenir ses domestiques, & peut-être même ceux des autres, une tristesse muette & honteuse qu’elle remarquoit en nous, & que la misère peint si bien sur le visage des honnêtes gens qu’elle humilie ; cette tristesse fait plus de peine à voir aux personnes qui ont des sentimens, que la douleur la plus déclarée. Voilà tout ce qui a jetté ma mère dans un désespoir dont elle n’a plus été maîtresse, & qui l’a enfin conduite