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de Robinson Crusoé.

laissé. Je me remis à vivre à ma manière accoutumée, & à m’appliquer à mes affaires domestiques. Pendant un tems, je jouis d’un assez grand repos, excepté que j’étois toujours fort sur mes gardes, & que je sortois rarement, toujours avec beaucoup d’inquiétude, à moins que de tourner mes pas du côté de l’ouest, où j’étois sûr que les sauvages ne venoient jamais, ce qui m’exemptoit de me charger dans cette promenade de ce fardeau d’armes qui m’accabloit toujours dans les autres routes.

Ce fut ainsi que je vécus deux ans de suite passablement heureux, si mon esprit, qui paroissoit être fait pour rendre mon corps misérable, ne s’étoit rempli de mille projets de me sauver de mon île. Quelquefois je voulois faire un second tour au vaisseau échoué, où je ne devois plus m’attendre à rien trouver qui valût la peine du voyage : tantôt je songeois à m’échapper d’un côté, tantôt d’un autre : & je crois fermement que, si j’avois eu en ma possession la chaloupe avec laquelle j’avois quitté Salé, je me serois mis en mer à tout hasard.

J’ai été dans toutes les circonstances de ma vie un exemple de la misère qui se répand sur les hommes, du mépris qu’ils ont pour leur état présent où Dieu & la nature les ont placés ; car, sans parler de ma condition primitive, & des ex-