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de Robinson Crusoé.

contre la férocité des bêtes, & contre la cruauté des sauvages, dont j’étois entouré de toutes parts. L’être souverain n’étoit ni l’objet de mes pensées, ni la règle de ma conduite : j’agissois en pur animal, suivant l’instinct de la nature, & mettant à peine en usage les principes du sens commun.

Lorsque je fus délivré en pleine mer par le capitaine portugais, qui me reçut à son bord honorablement, & qui me traita avec équité, avec humanité, avec charité, je n’avois en moi nul sentiment de reconnoissance. Lorsque je fis naufrage sur la côte de l’isle où je fus submergé & englouti à plusieurs reprises, où je devois périr cent & cent fois, je ne sentis point ma conscience touché, & je ne regardai point la chose comme un jugement de dieu ; mais je me contentois de croire qu’il y avoit dans ces évènement de la fatalité, & de me dire souvent à moi-même que j’étois une maudite créature, & que j’étois né pour être malheureux.

Il est bien vrai que, dès que j’eus pris terre pour la première fois, & que je trouvai que tout le reste de l’équipage avoit été noyé, & que j’étois le seul qui eût été sauvé, il est bien vrai, dis-je, que j’eus alors une espèce d’extase & un ravissement de cœur, qui, assisté de l’efficace de la grace, auroit bien pu se terminer