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classique, La Psychologie des foules, avec cette clarté lumineuse qui est le propre de son talent, l’intervention des forces mystiques et leur influence primordiale sur l’âme des peuples, au cours des grandes révolutions. Toutefois, étant donné que ces forces mystiques, tout en étant d’une même essence, peuvent revêtir certaine couleur locale d’après la différence des peuples et des races, sur les âmes desquels elles s’exercent, il m’a paru intéressant, afin de rendre plus compréhensible l’emprise qu’eurent les idées bolcheviks sur l’âme du peuple russe, simple, doux et croyant, de me référer au témoignage de notre grand écrivain Dostoïevsky, auquel revient de droit le titre de Grand Psychologue de l’âme slave.

Parmi les analyses minutieuses de la mentalité russe faites par Dostoïevsky, et qui sont éparpillées à travers ses romans (dont la plupart, traduits à l’étranger, sont connus du public français) je reproduis un récit très court, qui la caractérise d’une manière frappante et juste de l’avis même du maître et cela, en raison de l’authenticité du récit en question ; il aurait été narré à l’écrivain par un de ces nombreux moines vagabonds qui parcouraient jadis la grande Russie de long en large, se dirigeant vers la sainte ville de Kiev ou autre lieu de pèlerinage orthodoxe.

Voici ce que raconta le moine à Dostoïevsky :[1]

« Je vois un jour entrer chez moi un moujik se traînant sur ses genoux. Je l’avais aperçu déjà de ma fenêtre, pendant qu’il s’approchait de la maison, en rampant. La première parole qu’il m’adressa fut : « Le salut n’est plus sur moi ; maudit je suis. Et n’importe ce que tu pourrais me dire, je suis maudit.

« Je l’ai tranquillisé tant soit peu. J’ai vu que cet homme s’était traîné de loin vers moi en quête de souffrance.

  1. Ce récit avec les commentaires de Dostoïevsky fut inséré dans le journal Grajdanine (Le Citoyen) en 1873 et ensuite reproduit dans les œuvres complètes de Dostoïevsky (Journal de l’écrivain.)