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Appendice.

soupçonné, et l’interrogea, et pressa assez puissamment pour apprendre la verité de ce que le bruit commun et les attaques et abbayemens de ce chien (qui estoient comme autant d’accusations) luy mettoient sus ; mais la honte et la crainte de mourir par un supplice honteux, rendirent tellement obstiné et ferme ce criminel dans la negative, qu’en fin le Roy fut contraint d’ordonner que la plainte du chien et la negative du Gentil-homme se termineroient par un combat singulier entr’eux deux, par le moyen duquel Dieu permettroit que la verité seroit reconnuë. Ensuitte de quoy ils furent tous deux mis dans le camp comme deux champions, en presence du Roy et de toute la Cour. Le Gentil-homme armé d’un gros et pesant baston, et le chien avec ses armes naturelles, ayant seulement un tonneau persé pour sa retraite et pour faire ses relancemens. Aussi tost que le chien fut lasché, il n’attendit point que son ennemy vinst à luy ; il sçavoit que c’estoit au demandeur d’attaquer ; mais le baston du Gentil-homme estoit assez fort pour l’assommer d’un seul coup, ce qui l’obligea à courir çà et là à l’entour de luy, pour en éviter la pesante cheute ; mais en fin tournant tantost d’un costé, tantost de l’autre, il prit si bien son temps, que finalement il se jetta d’un plein saut à la gorge de son ennemy, et s’y attacha si bien, qu’il le renversa parmy le champ, et le contraignit à crier misericorde, et supplier le Roy qu’on lui ostast cette beste, et qu’il diroit tout. Sur quoy les escoutes du camp retirerent le chien, et les Juges s’estant approchez par le commandement du Roy, il confessa devant tous qu’il avoit tué son compagnon, sans qu’il y eust personne qui l’eust peu voir que ce chien, duquel il se confessoit vaincu. L’Histoire dit qu’il fut puny, mais elle ne dit point de quelle mort, ny de quelle façon il avoit tué son amy. Si ce chien eust esté au temps des anciens Grecs, lorsque la ville d’Athenes estoit en son lustre, il eust esté nourry aux despens du