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LES AVENTURES DE TIL ULESPIÈGLE

de Trèves le rencontra près de Fribourg, dans la Wederau, comme il se rendait à Francfort. Comme il était vêtu d’une façon singulière, l’évêque lui demanda ce qu’il était. « Gracieux seigneur, dit Ulespiègle, je suis un faiseur de lunettes, et je viens du Brabant, où il n’y a rien à faire ; c’est pourquoi je me suis mis à voyager pour trouver de l’ouvrage, car il n’y a rien à faire dans mon métier. – Je pensais, dit l’évêque, que ton métier devait devenir meilleur de jour en jour, parce que les gens deviennent de jour en jour plus malades, et que leur vue se raccourcit, ce qui fait qu’on a besoin de beaucoup de lunettes. – Oui, gracieux seigneur, répondit Ulespiègle ; Votre Grâce dit vrai ; mais il y a une chose qui gâte notre métier. – Qu’est-ce ? dit l’évêque. — Si je pouvais, dit Ulespiègle, le dire sans que Votre Grâce se mît en colère… – Parle, répondit l’évêque ; je suis bien habitué à pareille chose de toi et de tes pareils. Dis librement et ne crains rien. – Gracieux seigneur, ce qui gâte le métier de faiseur de lunettes, et fait craindre qu’il ne perde encore, c’est que vous et les autres grands seigneurs, pape, cardinaux, évêques, empereurs, rois, princes, conseillers, gouverneurs, juges des villes et des campagnes (Dieu nous assiste !), vous ne regardez ce qui est juste qu’à travers les doigts, et d’autres fois c’est l’argent qui juge ; mais au temps passé on trouve écrit que les seigneurs et princes, comme vous êtes, s’occupaient de lire et étudier le droit, afin qu’il ne fût fait d’injustices à personne, et pour