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des califes d’Espagne, de Grenade, de Cordoue, avait pénétré en France ; des troubadours il avait passé aux poëtes du Nord, dans ces plantureuses provinces de Flandres, de Hainaut et d’Artois, où régnaient des princes qui protégeaient les lettres et encourageaient ceux qui les cultivaient. Les femmes elles-mêmes avaient pris part à ce mouvement que dirigeaient les plus illustres et les plus spirituelles d’entre elles, et que souvent elles avaient fait naître. Elles inspiraient les trouvères qui vivaient dans leur entourage, et dictaient les sujets de compositions qui leur étaient ensuite dédiées. Sous leur influence s’étaient fondées les cours d’amour dont les jugements avaient force de loi dans le monde élégant et littéraire ; mais il ne faut pas regarder comme une institution judiciaire ces tribunaux de fantaisie qui rendaient des arrêts à peu près comme l’hôtel de Rambouillet au XVIIe siècle, dont la juridiction ne s’étendait que sur un cycle d’élus qui voulaient bien s’y soumettre. Les romans de Meraugis de Portlesguez, de Blancandin, de Cliges et d’autres encore, nous montrent avec quelle subtilité on traitait toutes les questions qui se rattachaient à l’amour, et quels raffinements on avait introduits dans la peinture de ce sentiment. Ce ton de galanterie quintessenciée devait se refléter dans les œuvres des poëtes ; fréquentant les cours, ils recherchaient la protection et les suffrages de ces femmes qui régnaient autant par leur esprit que par leur rang. C’est à elles qu’ils adressaient les ouvrages dont elles avaient fourni le sujet : c’est ainsi que Chrestien de