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la saga d’élie

sitôt. Quand ils l’eurent vu, ils se le désignèrent mutuellement. Tiacre[1] dit à ses compagnons : « Voyez ici, chevaliers, ce jeune homme qui descend la colline, et qui, par bravade et arrogance, ne porte aucun écu ; le cheval qu’il monte est très rapide à la course. Si vous me le permettez, je courrai droit sur lui et le jetterai à bas de cheval. » « Par ma foi, » dit Malatré, c’est grande folie. Que Mahomet me protège ! tu n’auras pas ce cheval. Ce matin, » dit-il, « quand nous avons quitté l’armée, nous avons fait association et camaraderie : fol est qui les rompra ! Nous irons tous ensemble contre lui et le jetterons à bas de cheval. Alors entre nous, nous ferons le partage le plus juste de son cheval et de ses armes, pour que chacun de nous ait un lot égal. » « Par mon chef, » dit Tiacre, « ce serait bien manquer de courage que de chevaucher[2] tous cinq et d’assommer un seul Franc ; ce serait lâcheté, et non bravoure. Honni soit et déshonoré celui qui s’unira à d’autres pour le combattre, au lieu de se présenter seul ! »

(XI)

Tiacre s’éloigna alors de ses compagnons, et s’approcha d’Élie. Quand il fut dans la plaine, il dit : « Qui es-tu, chevalier ? Crois-tu en Mahomet qui gouverne tout le monde ? » « Certes non, » dit Élie, « non plus qu’en quiconque le sert. Je suis le fils de Julien, le duc renommé. Mon père, ce matin, m’a fait chevalier et m’a donné cet équipement, et je pars pour mon plaisir et pour me mesurer aux ennemis, car les païens ont débarqué dans notre pays, et je cherche à les rencontrer, s’ils se laissent approcher, et, avant ce soir, je leur prépare un grand tumulte. » « Par Mahon, » dit Tiacre, « il va t’arriver un terrible malheur ! tu me laisseras ce cheval, et, à ta grande honte, tu seras renversé de sa selle, les pieds[3] en l’air et la tête en bas. » Quand Élie enten-

  1. Mss. ici et ailleurs Triatre.
  2. C B D contre un Franc.
  3. C B D pieds tournés.