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à Paris dans ces circonstances pût être considérée comme un gage des intentions conciliantes de l’empereur Nicolas. En outre, M. de Kisseleff, dont la position en France avait été jusqu’alors provisoire et qui n’était accrédité qu’à titre de mission spéciale, revenait à Paris en qualité de ministre plénipotentiaire, à titre définitif. Les confidences publiées par les feuilles allemandes, qui sont devenues à cet égard une précieuse source à consulter, tendent enfin à faire croire que ses lettres de créance elles-mêmes, loin d’être conçues dans des termes froids qui eussent révélé un esprit d’hostilité, rachetaient par des expressions répétées d’estime et d’amitié ce que la thèse monarchique du tsar laissait à désirer.

Si le cabinet français n’avait pas vaincu les scrupules dogmatiques que la Russie avait portés dans cette question de la reconnaissance, il avait donc obtenu d’elle des assurances et des témoignages d’amitié qui avaient aussi leur signification. Il aurait pu sans doute exiger davantage : il aurait pu demander s’il appartenait bien à une monarchie aussi jeune que celle de Russie de patroner le principe de la tradition, si elle était autorisée à le faire quand des maisons comme celles d’Autriche et de Saxe ne s’y croyaient point obligées ; il aurait pu refuser des lettres de créance qui n’étaient point exactement conformes aux règles du protocole. Peut-être un gouvernement soupçonné de faiblesse eût-il dû prendre ce parti extrême sous peine d’être accusé de faire un sacrifice d’amour-propre, et il n’aurait pas eu à craindre, en un cas pareil, de ne point être soutenu par le sentiment national. Un gouvernement qui passait, au contraire, pour nourrir des pensées ambitieuses dont l’Europe se montrait inquiète et qui avait à se défendre de projets de conquête sans lesquels on avait peine à concevoir l’héritier de Napoléon et l’auteur du nouveau 18 brumaire, — un gouvernement placé dans ces conditions, en acceptant les lettres de créance de la Russie, ne faisait preuve que de modération. Il donnait en même temps au pays et à l’Europe le gage d’intentions pacifiques que, l’opinion, au dehors surtout, était toujours portée à révoquer en doute.

C’est le 5 janvier 1853 que M. de Kisseleff fut admis à l’audience de l’empereur. Les ministres de Prusse et d’Autriche se succédèrent les jours suivans, ainsi que les agens des petits états d’Allemagne qui n’avaient point imité la liesse grand-ducale et Nassau, et qui commençaient à être confus des retards qu’ils s’étaient laissé imposer.

Ainsi se terminait une question délicate et grave dont la solution d’ailleurs ne parait point avoir inspiré un instant d’inquiétudes sérieuses. Dans l’espace de quelques semaines, le nouvel empire était entré dans la famille des états européens, et il avait ainsi obtenu, par le seul usage des moyens diplomatiques, une faveur que le premier