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LE MYTHE DE VÉNUS

se sont greffées sur une divinité indigène très connue et très honorée, c’est la persistance du nom do Vénus. Ce nom ne se trouve, il est vrai, ni dans les chants saliens ni dans les premiers monuments qui nous sont connus du culte public, mais c’est sans doute un pur hasard. On voit par l’exemple d’Apollon et d’Esculape que les dieux grecs importés en Italie y ont conservé leur nom toutes les fois qu’ils n’ont pas trouvé la place prise par une divinité analogue, jouant dans le monde divin et humain un rôle à peu près semblable au leur. Au contraire, le Dyonisos grec est resté Liber à Rome, bien que la poésie ait adopté de bonne heure son surnom grec de Bacchus. De même Athéné, Déméter, Hermès, Poséidon, Arès, grâce à des traits communs facilement reconnaissables, se sont transformés sans peine en Minerve, Cérès, Mercure, Neptune, Mars, comme Aphrodite en Vénus. Dans ces divers cas le culte public et le langage populaire ont été plus forts que la poésie.

Les Romains ont quelquefois donné à Vénus l’épithète de Libentina, ce qui a conduit à l’identifier avec Libitina, déesse de la mort et des funérailles, dont le bois sacré, à condition de mettre une pièce d’argent dans le tronc de sa chapelle, fournissait le bois des civières funéraires. Il est assez étrange, en effet, qu’on ait donné à une divinité d’un caractère si lugubre un nom qui exprime plutôt le désir, le caprice (libido), et qu’un célébrât sa fête à l’époque des vendanges, le 19 août. Toutefois les textes ne paraissent pas assez concluants pour que l’identité de ces deux déesses soit certaine. On allègue, il est vrai, qu’en Grèce Aphrodite semble en certains lieux confondue avec Perséphoné (Proserpine) la reine des enfers. Mais il (>st difficile de voir dons ce fait autre chose qu’une légende locale. Nous avons di la négliger connue tant d’autres surnoms d’Aphrodite, tant d’autres variétés de son culte et de ses images. Dans aucun domaine l’imagination et la fantaisie individuelle ne se sont donné aussi pleine carrière que dans la mythologie grecque.

Les Latins traitaient leurs dieux plus sérieusement. C’est à la politique seule qu’il fut donné de modifier profondément le type de Vénus lorsque l’orgueil romain fat intéressé à voir en elle l’amante d’Anchise et la mère d’Enée. Rien de plus connu par les poètes et déjà par Homère que les amours de la déesse et du berger troyen ; on peut en lire l’histoire racontée avec infiniment d’esprit et de charme dans le troisième des Hymnes homériques. Les légendes postérieures nous montrent Enée fuyant loin des ruines de sa