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LE MYTHE DE VÉNUS

Aphrodite un idéal de la beauté, sentiment bien naturel chez un peuple si artiste. C’est ce qui explique le nombre infini d’images de la déesse que la sculpture antique nous a léguées. Chose bien honorable pour l’art grec, même lorsque ces statuaires prenaient pour modèles des courtisanes (le fait est attesté par plusieurs d’entre eux), ils ont presque tous donné à leurs œuvres quelque chose de délicat et de pudique, quelquefois même de tout à fait chaste, qui rejette bien loin l’idée des désordres auxquels donnait lieu, nous l’avons vu, le culte d’Aphrodite. Dans ces corps si beaux semblent respirer des âmes non moins belles. On voit combien la déesse avait changé en traversant la mer Égée.

Nous n’avons pas besoin que la fable d’Adonis nous démontre une fois de plus l’identité d’Astarté et d’Aphrodite ; mais rien ne saurait mieux nous faire sentir la transformation qu’a subie le mythe chananéen dans l’imagination grecque. Tout le monde connaît le joli récit d’Ovide (Métam., x, 207). Il présente ailleurs quelques variantes. Le voici dans ses traits les plus généralement admis. Promenant ses caprices à travers le monde, la déesse des amours s’est éprise d’un beau chasseur. Un jour, jour fatal, son amant blessé à la cuisse par la dent d’un sanglier expire entre ses bras. La déesse désolée implore son père Jupiter, et celui-ci, pour la consoler, décide qu’Adonis, par un partage analogue à celui de Proserpine, restera six mois par an dans le royaume des morts, et reviendra passer le reste de l’année auprès de sa divine maîtresse. Du sang répandu sur le gazon Aphrodite fait naître des roses et des anémones, symbole de la courte destinée de son amant et de sa résurrection annuelle.

Cette fable gracieuse parait bien grecque au premier abord ; en réalité elle est phénicienne, mais combien différente !

L’Adonis grec, en Syrie et en Phénicie, est Adon, ou Adonaï, c’est-à-dire le Seigneur. C’est un des noms de Baal, le dieu suprême. Nous avons déjà dit que Baal est l’époux d’Astarté, fermant avec elle le couple divin qui préside à toutes choses. On comprend dès lors pourquoi la Grèce a fait de lui l’amant d’Aphrodite.

Adon-Baal était aussi le soleil, et en divers lieux de la Phénicie, à Byblos notamment, on célébrait en son honneur des mystères et des fêtes annuelles qui duraient sept jours. C’était à l’automne, au moment où le soleil