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LE MYTHE DE VÉNUS

déesse sortit des eaux. L’herbe naissait sous ses pieds délicats. Les hommes et les dieux rappellent Aphrodite parce qu’elle est née de l’écume. Ils l’appellent aussi Cythérée, parce qu’elle a abordé à Cythère, et Cypris parce qu’elle s’est arrêtée à Cypre [1]. »

Nous voici en plein monde oriental, non seulement par le nom d’Aphrodite, non seulement par les stations où le poète nous la montre, car Cypre est une île phénicienne, mais encore par l’obscénité de cette fiction, ce qui est un des caractères les plus constants de la mythologie des peuples asiatiques, notamment en Assyrie et en Phénicie.

Aphrodite est ainsi nommée, nous dit Hésiode, parce qu’elle est née de l’écume. En effet, l’écume se dit en grec aphros. Mais le nom do la déesse devrait en ce cas être Aphrogène. Le suffixe qui termine le nom d’Aphrodite n’a pi mit de sens en grec. S’il venait, connue on l’a dit quelquefois, du verbe δύομαι (duomai) s’enfoncer, il s’écrirait autrement et aurait une autre signification. Aussi quoique cette étymologie ait été généralement admise en Grèce, et qu’elle puisse s’appuyer sur l’autorité de Platon, elle est inacceptable pour la critique moderne. On sait du reste combien les Grecs, et Platon en particulier, étaient peu exigeants en fait d’étymologies. Le dialogue intitulé Cratyle en donne de fantastiques.

Il y a donc là évidemment un mot étranger, et c’est dans les langues sémitiques qu’on a été amené à le chercher. Ici notre incompétence personnelle nous réduit à présenter les hypothèses que de plus savants ont proposées. Il y en a plusieurs, mais une seule présente tous les caractères d’une vraisemblance qui touche à la certitude. Le mot phrit ou phrut, en chaldéen et en phénicien, est le nom de la colombe [2]. Or on sait quel rôle capital joue la colombe dans le culte d’Astarté en Asie et d’Aphrodite en Grèce. Les plus anciennes monnaies de Cypre et celles de Sicyone portent à la face la figure d’Aphrodite et au revers une colombe ; enfin d’antiques statues de ces deux déesses, ou plutôt de cette déesse unique, ont une colombe dans la main droite appuyée sur le sein. Si l’on fait précéder ce mol phral do l’article phénicien, on a aphrad, qui, selon toute probabilité, a signifié pour les Grecs la déesse à la colombe.

  1. Hésiode, Théogonie, 188.
  2. Röth, cité par Prelier.