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DOCUMENTS ORIGINAUX.

on peut supposer que l’idée de Rubinstein a été éveillée en moi par une association inconsciente, puis que cette apparition a précédé fortuitement la mort de Rubinstein. Mais alors il reste encore à expliquer pourquoi, pendant les années précédentes, je n’ai jamais vu d’apparitions hallucinatoires pareilles à celles de Rubinstein ? Je dois dire que, parmi toutes les visions hypnagogiques et hallucinatoires, il m’est arrivé bien rarement d’avoir eu des visions aussi distinctes, aussi plastiques et de réelle apparence que les deux hallucinations décrites plus haut.

Je me crois obligée de vous envoyer ce récit, parce que mon incrédulité aux phénomènes télépathiques et autres de même ordre ne me fait pas oublier que beaucoup de choses peuvent nous paraître invraisemblables, impossibles même, seulement à cause de la limitation trop étroite du champ de nos connaissances, de nos observations. Ainsi par exemple les contemporains d’Archimède étaient trop ignorants pour pouvoir comprendre le mécanisme d’une locomotive, et ils auraient certainement traité le récit et même l’apparition d’une locomotive comme une chose incroyable, comme un miracle ; tandis qu’Archimède lui-même était capable de comprendre la construction de la locomotive une fois qu’on la lui aurait eu expliquée et qu’on lui aurait eu démontré la force dynamique de la vapeur.

Au siècle dernier et même au commencement de notre siècle, on aurait traité de miracle et de chose invraisemblable le récit qu’on se peut parler de Stockholm à Upsala, de Saint-Pétersbourg à Péterhoff, etc., tandis qu’à présent la communication téléphonique est du domaine des faits réels, et ainsi de suite. En un mot la crédulité complète d’une part, ainsi que l’incrédulité absolue de l’autre, ne sont que les signes de l’ignorance. Un penseur, un homme de science, doit avant tout se rappeler que la source principale de nos connaissances exactes est dans nos sens et que ces sens sont bien souvent à la fois imparfaits et trompeurs.

En niant tout ce qui est resté inconnu à nos sens personnels et même aux sens de tout un peuple, de toute une nation, nous pouvons très bien tomber dans la même erreur