Page:Annales de mathématiques pures et appliquées, 1830-1831, Tome 21.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturels n’auraient pu suffire pour les exprimer toutes sans confusion : et comment d’ailleurs exprimer autrement que par des signes de pure institution, tant d’idées dont l’objet n’a aucune prise sur nos sens et ne peut être offert à aucun d’eux ? Il est probable, toutefois, que l’usage des signes naturels a dû précéder partout l’usage des signes de convention, et en aura même fait naître l’idée. On peut conjecturer, avec assez de vraisemblance, que, soit par la négligence ou la maladresse de ceux qui les employaient, soit par le désir de rendre la langue plus concise, soit enfin par le besoin d’étendre aux idées intellectuelles les signes des idées sensibles, ces signes se seront graduellement altérés et éloignés de leur formes primitives ; que voyant que les altérations qu’ils avaient subies n’empêchaient pas d’en retirer les mêmes usages, on aura conçu l’idée d’employer, concurremment avec eux, d’autres signes de pure institution qui peu à peu auront prévalu et seront demeurés seuls dans nos langues.

Si les conventions qui ont donné naissance aux signes de cette dernière sorte avaient pu être, à la fois, universelles et durables, une seule langue nous aurait suffi pour nous mettre en relation soit avec nos contemporains de toutes les contrées, soit avec les écrivains de toutes les époques, et on ne saurait douter que la civilisation n’y eût trouvé un immense avantage ; mais, d’une part, l’isolement où ont long-temps vécu, les uns des autres, les différens peuples de la terre et la diversité de leurs mœurs et de leurs usages, et de l’autre, les altérations progressives, et en sens divers, que les signes de nos idées ont successivement éprouvées n’ont point permis qu’il en fût ainsi, et ont prodigieusement multiplié les idiomes, soit chez les anciens, soit chez les modernes. C’est là un très-grand mal sans doute, mais c’est un mal qui ne pourrait trouver de remède que dans l’institution d’une langue philosophique, très-difficile à créer, bien plus difficile encore à faire universellement admettre, et qui d’ailleurs subirait bientôt, peut-