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lage notre attention, en offrant à notre esprit des points de repos, ce n’est, d’un autre côté, qu’une sorte de fiction, souvent peu conforme à l’état réel des choses. On conçoit, en effet, qu’il peut exister une multitude de nuances, soit entre le signe le plus naturel et celui qui l’est le moins, soit entre le signe le plus durable et le signe le plus éphémère. Il y a donc des signes plus ou moins naturels, plus ou moins conventionnels, plus ou moins fugitifs, plus ou moins permanens ; et c’est là une remarque qu’il ne faut jamais perdre de vue.

Si, dans nos langues, soit parlées, soit écrites, on avait pu se borner au seul emploi des signes tout à fait naturels, les hommes, sans aucune culture préalable, se seraient facilement entendus d’un pôle à l’autre ; nous ne nous trouverions pas dans la déplorable nécessité de consumer les plus belles années de notre vie à nous rendre familières les langues des divers peuples avec qui nous voulons correspondre, ou des divers écrivains que nous voulons consulter ; et nous n’en serions pas réduits, à notre grand préjudice, à sacrifier à l’étude des mots un temps que nous pourrions si utilement employer à l’étude des choses. C’est, par exemple, parce que les horloges parlent une langue fort naturelle que celles de Berlin sont tout aussi bien comprises par un Espagnol que le sont celles de Madrid par un Prussien ; et c’est encore parce que le dessin et la peinture sont des écritures naturelles que nos badauds de Paris ne s’arrêtent pas avec moins de complaisance devant les carricatures de Londres que ne le font ceux de Londres devant les carricatures de Paris. La foule ne se porte guère, au contraire, devant les étalages de nos marchands de musique, parce qu’une éducation spéciale est nécessaire pour l’intelligence des caractères musicaux, qui n’ont de sens qu’en vertu de certaines conventions ignorées du gros du public.

Mais les nuances de nos idées sont si nombreuses et si variées que, même dans l’état de civilisation le moins avancé, les signes