Page:Annales de mathématiques pures et appliquées, 1830-1831, Tome 21.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est donc tout à fait hors de doute que nos pensées et nos raisonnemens n’ont pas et ne sauraient même jamais avoir pour objet les grandeurs elles-mêmes, mais seulement les rapports que nous remarquons entre celles qui sont comparables. À la vérité nous semblons quelquefois employer les mots grand et petit dans un sens tout à fait absolu ; mais, en y regardant de plus près, nous ne tarderons pas de nous convaincre qu’alors il y a toujours quelque comparaison sous-entendue. Ainsi, par exemple, lorsque nous disons d’un arbre qu’il est grand ou petit, nous le comparons implicitement à la moyenne stature des arbres, au-dessus ou au-dessous de laquelle nous entendons exprimer qu’il se trouve ; et nous ne pouvons nous exprimer ainsi que parce que la hauteur des arbres a deux limites extrêmes, qui même ne se trouvent pas fort distantes l’une de l’autre ; mais il ne saurait plus en être ainsi à l’égard d’objets dont la grandeur ou la petitesse n’ont point de limites nécessaires ; et celui qui, par exemple, demanderait qu’on lui traçât une ligne droite ou un cercle de grandeur ordinaire ferait une question dont l’ineptie serait manifeste pour tout le monde.

De cela même que nous ne connaissons des grandeurs que les rapports qui existent entre elles, c’est aussi tout ce qu’il nous est possible d’en faire connaître à autrui. En vain tenterait-on de torturer la langue, d’y introduire des mots ou des tours nouveaux, jamais on ne parviendrait à lui faire exprimer une grandeur, indépendamment de quelque autre grandeur de sa nature. À la vérité, nous autres habitant de la terre, nous pouvons parvenir à nous entendre assez bien, sur les longueurs et sur les poids, en les comparant à la taille et au poids moyen d’un homme, ou aux dimensions et au poids de quelque production naturelle ; et nous nous entendons également bien sur les temps, en les comparant soit à la durée moyenne de notre vie, soit à celle des diverses révolutions célestes. Mais supposons que nous ayons à donner à un habitant d’un autre Univers dont nous ignorerions tout