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et l’autre en petitesse, sans qu’il soit possible d’assigner, en particulier, le rang d’aucun des anneaux de cette chaîne sans limites. Si donc quelqu’un venait nous annoncer que l’un des globules du sang de quelque animal que sa petitesse dérobe au meilleur microscope, renferme un Univers tout pareil au nôtre, ou bien encore que tout l’Univers visible fait partie de l’un des globules du sang de quelque animal, à peine visible pour d’autres êtres qui nous sont inconnus, non seulement nous devrions bien nous garder de le nier, mais nous ferions même preuve de bien peu de jugement si, après y avoir mûrement réfléchi, nous en témoignons la moindre surprise.

Si quelqu’un nous reprochait d’insister sur ce sujet, beaucoup plus qu’il ne semble nécessaire, nous lui répondrions qu’il ignore apparemment combien sont peu nombreux les esprits dans lesquels les idées que nous venons d’émettre ont jeté des racines tant soit peu profondes. Que si, au contraire, d’autres pouvaient ne voir dans tout ceci que des exagérations, des hyperboles telles qu’en emploient quelquefois les rhéteurs et les moralistes, dans la vue de remuer fortement les imaginations, nous lui conseillerions de s’arrêter ici et de ne pas poursuivre plus loin l’étude d’une science qui repose tout entière sur les principes que nous venons de développer.

Voilà qu’à peine engagé dans l’étude des sciences exactes nous nous trouvons amenés à des considérations philosophiques d’un ordre extrêmement élevé, et tel doit être, en effet, le résultat naturel des études bien conduites. Désormais, par exemple, nous laisserons le vulgaire s’extasier tant qu’il lui plaira à la vue de l’organisation compliquée et délicate des animaux microscopiques, en nous disant bien que, si l’organisation d’un animal est une chose tout à fait digne d’admiration, il importe fort peu d’ailleurs que cet animal soit éléphant ou ciron ; et que, dans l’espace même que nous jugeons le plus petit, il y a toujours beaucoup plus de place qu’il n’en faut pour y concevoir tout ce qu’il plaira à notre imagination d’y supposer.