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elle seule de la richesse d’un état. Cette richesse se compose, en effet, de la tatalité des capitaux que la nation possède, je veux dire des terres, des édifices publics et privés, des troupeaux, des instrumens divers de l’agriculture et de l’industrie, des denrées, des matières premières ou fabriquées, des collections littéraires et scientifiques, des journées que les ouvriers peuvent fournir, de l’intelligence et de l’activité des citoyens et enfin de la masse des écus qui ne fait d’ordinaire qu’une assez faible portion de la fortune publique.

Or, comme tous les objets échangeables ou consommables peuvent être estimés à prix d’argent, il s’ensuit que la richesse d’une nation peut toujours être exprimée en écus ; mais alors cette richesse se trouvera exprimée par un nombre d’écus bien supérieur à celui que la nation possédera réellement. Si, par exemple, elle possède un milliard en numéraire, et que toutes ses autres propriétés puissent être évaluées à vingt-quatre milliards, sa richesse totale sera de vingt-cinq milliards. On voit, d’après cela, qu’une nation pourrait posséder peu d’écus, n’en pas même posséder un seul, et être néanmoins incomparablement plus riche qu’une autre chez laquelle, au contraire, le numéraire serait très-abondant[1].

Une nation n’éprouvera donc aucune perte réelle, si une portion de son numéraire s’écoule pour être remplacée par des va-

  1. J’ai connu autrefois une dame plus qu’aisée, habitant une jolie campagne, près d’une grande ville, qui ne mangeait de la viande de boucherie que lorsqu’elle pouvait s’en procurer en échange des lapins ou des poules de sa basse-cour ou des pigeons de son colombier. Cette bonne dame qui, comme beaucoup d’hommes, croyait que l’argent est la seule richesse, se figurait alors que la viande ne lui coûtait rien, parce qu’elle ne l’avait pas payée en écus. Peut-être aurait-elle trouvé du bénéfice à vendre ses lapins et à acheter ensuite de la viande avec le produit qu’elle en aurait tiré, mais son savoir économique n’allait pas jusques-là.