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DE LA LANGUE

charge à la guerre, et presque tous les mots de nos langues articulées.

4.o Enfin, les signes permanens et conventionnels : tels sont les marques distinctives des grades dans l’armée, les costumes de nos fonctionnaires, les armoiries qui décorent les équipages de nos grands seigneurs et tous les mots de nos langues alphabétiques écrites.

Mais il est d’abord essentiel d’observer qu’il en est de cette classification comme de toutes les autres qui, si elles offrent à notre esprit des points de repos qui ménagent utilement ses forces, ne lui présentent, d’un autre côté, qu’une sorte de fiction assez peu conforme à l’état réel des choses. Ainsi on conçoit qu’il peut y avoir une infinité de nuances, soit entre le signe le plus naturel et celui qui l’est moins ; soit entre le signe le plus durable et le signe le plus éphémère. Il y a donc de signes plus ou moins naturels, plus ou moins conventionnels, plus ou moins fugitifs, plus ou moins permanens ; et c’est une observation que je prie le lecteur de ne point perdre de vue dans tout ce qui va suivre.

Si dans nos langues, soit parlée, soit écrite, on avait pu se borner à l’emploi des signes tout-à-fait naturels, les hommes, sans aucune étude préalable, s’entendraient facilement d’un pôle à l’autre, nous ne nous trouverions pas dans la déplorable nécessité de consommer les plus belles années de notre vie à nous rendre familières les langues des différens peuples avec qui nous devons correspondre, et des divers écrivains que nous voulons consulter ; et nous ne serions pas obligés, à notre grand préjudice, de sacrifier, pour ainsi dire, l’étude des choses à celle des mots. C’est, par exemple, parce que les horloges parlent une langue fort naturelle, que celles de Berlin sont aussi bien comprises par un espagnol que le sont celles de Madrid par un prussien ; et c’est encore parce que le dessin et la peinture sont des écritures naturelles que nos badauds de Paris ne s’arrêtent pas avec moins de complaisance devant les caricatures de Londres que ne le font ceux de Londres devant les caricatures de Paris.