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PRIMITIVES.

nous-mêmes, dans l’ordre présent, nous pourrions imaginer une couleur primitive, essentiellement distincte de toutes celles que nous connaissons ; et si, dans cette hypothèse, quelque habitant d’un autre univers, ayant éprouvé la sensation du bleu, tentait de nous communiquer l’idée qu’il en a, la chose lui serait tout-à-fait impossible. En un mot, nous serions exactement, par rapport au bleu, ce que sont les aveugles par rapport à toutes les couleurs ; et ce que je dis ici du bleu, comparé au rouge et au jaune, on pourrait également le dire de chacune de ces deux couleurs comparées aux deux autres et à leurs divers mélanges.

Mais, si l’on suppose, au contraire, que quelqu’un n’a jamais vu que du rouge, du jaune et du bleu dans toute leur pureté, lui sera t-il impossible de se former l’idée des diverses nuances de ces trois couleurs[1] ; et, en particulier, de l’oranger, du vert et du violet ? Et sera-t-il du moins impossible à celui qui connaîtra les couleurs de cette dernière série, de lui en faire naître l’idée, je ne le pense pas. Ne pourra-t-il pas lui dire, en effet, que l’oranger est un rouge tirant sur le jaune, ou un jaune tirant sur le rouge ; que le vert est un jaune tirant sur le bleu ou un bleu tirant sur le jaune ; et qu’enfin le violet est un bleu tirant sur le rouge ou un rouge tirant sur le bleu ? À ne considérer donc que des raisons de pure convenance ; et en supposant qu’aucun fait connu n’y fasse obstacle, tout semblerait concourir à faire regarder le rouge, le jaune et le bleu comme des couleurs simples, et à faire admettre au contraire l’oranger, le vert et le violet comme des couleurs essentiellement composées.

  1. Je prie le lecteur de remarquer que je dis impossible et non pas difficile. Je sais trop bien, en effet, que de tous les moyens d’acquérir des idées sensibles, la sensation est de beaucoup le plus efficace ; et c’est là ce qui établit la supériorité de la langue du dessin sur la langue articulée, lorsqu’il s’agit de description.