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DE LA DÉFINITION.

affecter leurs sens, ou occuper leurs pensées, ils se sont bornés à former des classes, des ordres, des genres, des espèces, des variétés, etc. Mais on conçoit très-bien qu’entre leur travail et celui des naturalistes, il doit y avoir la même différence qui existe entre des habitations informes bâties à la hâte, dans la seule vue de satisfaire au premier besoin, et de superbes palais, élevés d’après des plans dressés à l’avance et long-temps médités. Si donc le travail des naturalistes est loin d’être parfait ; si chaque jour on se trouve obligé d’y apporter quelques modifications, d’y remplir des lacunes, d’en faire disparaître des doubles emplois et d’y réparer de graves omissions ; à combien plus forte raison les classifications entreprises par les premiers inventeurs des langues doivent-elles laisser à désirer. C’est seulement dans un état de civilisation très-avancé qu’on pourrait tenter de reprendre un pareil travail avec tout le soin que semble exiger son importance ; mais alors même, il laisserait toujours quelque chose à l’arbitraire ; et son exécution serait inévitablement subordonnée à la tournure d’esprit et à la manière de voir et de sentir de celui qui aurait le courage de s’en charger. Si d’ailleurs, comme on ne saurait en disconvenir, la langue que nous avons apprise dans notre enfance est l’instrument dont nous nous servons pour penser ; il est naturel d’en conclure que le travail grossier des premiers inventeurs des langues ne serait pas sans quelque influence sur ce travail plus perfectionné.

Nous venons de voir comment un premier genre d’abstraction avait donné naissance à un grand nombre de mots de nos langues : nous allons voir un autre genre d’abstraction contribuer encore à les enrichir.

Les objets de nos pensées ne sont réellement pour nous que des collections de propriétés par lesquelles nous avons prise sur eux. Que le sujet dans lequel nous concevons ces propriétés puisse en être totalement dépouillé sans perdre toute existence réelle, ou, qu’au contraire, ce soit l’ensemble même de ces propriétés qui en constitue l’existence ; c’est là ce que nous devons probablement consentir