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THÉORIE

Non seulement on ne doit pas définir tous les mots, mais il est même des mots que l’on tenterait vainement de définir ; et cette impossibilité résulte de la nature même de la chose. Puisqu’en effet, définir un mot, c’est en expliquer le sens, à l’aide d’autres mots dont la signification a déjà été antérieurement fixée ; on sent qu’on ne pourrait tenter de définir tous les mots, sans tomber dans un cercle vicieux inévitable[1]. Les mots qu’on ne saurait définir sont principalement ceux qui expriment des idées simples, soit physiques, comme il arrive pour les noms des couleurs, des odeurs, des saveurs, des sons, etc., soit métaphysiques, comme il arrive pour les noms des passions, affections ou faculté de l’âme, pour les propositions, pour les mots étendue, durée, ressemblance, différence, etc. On ne saurait non plus définir les noms des individus, attendu que les qualités qui les constituent tels sont presque innombrables et nous sont le plus souvent inconnues pour la plupart. Enfin, il est presque impossible de définir les mots qui expriment des notions abstraites très-compliquées et très-fugitives, tels que ceux de gloire, de justice, de vertu, de bonheur.

Mais, dira-t-on, s’il est impossible de définir tous les mots, comment donc parviendra-t-on à connaître la signification des mots non susceptibles d’être définis ? Nous répondrons que, s’il s’agit de mots qui expriment des idées sensibles, on parviendra à en faire comprendre le sens, en produisant la sensation à laquelle ils répondent, en même temps qu’on les prononcera. Mais, il est encore certaines précautions délicates sans lesquelles les tentatives de cette sorte d’enseignement pourraient devenir tout-à-fait infructueuses. Si, par

  1. Pascal regarde l’impossibilité absolue où nous nous trouvons de définir tous les mots comme une imperfection de nos méthodes ; mais, si l’on ne doit appeler imperfection dans un objet que l’absence d’une qualité qui pourrait s’y trouver, nous ne saurions sur ce point partager l’opinion de l’auteur des Pensées.