Page:Annales de mathématiques pures et appliquées, 1811-1812, Tome 2.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE DES MATHÉM.

veuille prétendre la modestie de M. de Wronski, s’il a fait des découvertes dans les sciences exactes, s’il en a reculé les limites, c’est à son génie et à son rare savoir qu’il en est redevable, bien plus qu’aux dogmes métaphysiques qu’il a adoptés.

Nous osons dire plus encore, et nous pensons que, si M. de Wronski eût uniquement dirigé l’activité de son esprit vers ces mêmes sciences, que s’il fût né et qu’il eût vécu jusqu’ici en France, il serait déjà, très-problablement, en possession d’une réputation qu’il travaille seulement à acquérir ; nous pensons qu’alors, donnant à ses idées un plus libre essor, il ne lui serait pas échappé quelques erreurs évidentes, quelques divisions et distinctions également forcées et inutiles, que sa raison désavoue peut-être à son insçu, et qui ne se sont glissées dans son livre que sous l’influence despotique des principes de la scolastique du Nord : nous pensons qu’alors enfin son ouvrage, à la fois plus clair et plus concis, n’eût pas été déparé par un néologisme fatigant et par une métaphysique ardue qui, nous le répétons, ne saurait aucunement contribuer à l’avancement des sciences positives.

Sans donc prétendre que M. de Wronski doive abandonner des systèmes philosophiques auxquels il paraît sincèrement et fortement attaché, nous pensons que, pour son intérêt et celui du public, il ferait bien de rendre à l’avenir moins dépendans de ces mêmes systèmes les ouvrages qu’il se propose de nous donner encore. S’il veut, en effet, que ces ouvrages soient lus et appréciés par notre nation : et il le veut sans doute, puisque c’est au milieu de nous qu’il les publie ; il faut qu’il apprenne d’abord à bien nous connaître ; il faut qu’il sache bien que nous n’estimons vrai que ce qui peut être clairement exprimé en langue vulgaire ; que nous n’aimons pas d’acheter l’instruction par trop de peine ; que nous voulons que les idées même les plus abstraites soient revêtues de formes agréables ; qu’enfin, nous sommes une nation un peu légère chez laquelle le livre le plus profondément pensé ne se sauve pas du discrédit, s’il exige, pour être compris, une contention d’esprit dont notre caractère et nos habitudes nous rendent également incapables.