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Les îles Bagnères se montrent à nos yeux éblouis ainsi qu’une royale escadre au mouillage. Et toutes les proues de ces vaisseaux d’un nouveau genre sont différentes ; tantôt, c’est un monstre marin qui avance son col au-dessus des vagues : le grand serpent de mer tant de fois entrevu, jamais capturé ; tantôt, un immense crocodile à la gueule légèrement ouverte, pointant vers le ciel ; ou, encore, un gros hippopotame à l’air pacifique. Ces gigantesques navires de pierre sont entourés de nombreuses roches isolées qui forment leur escorte. Des mouettes les entourbillonnent de leurs longues ailes frissonnantes et de leurs clameurs aiguës.

Ici encore le sol est dépouillé, plus d’ajoncs, plus de bruyères ; une légère couche d’une herbe verdâtre le recouvre par endroit. Des coquilles d’oufs de goëlands y sont éparses ; elles sont d’un blanc gris marbré de taches brunes et roses. Est-ce le vent qui a enlevé ces œufs éclos au nid où pépie la couvée ?

Nous avançons assez péniblement sur ces falaises élevées où le vent nous flagelle. Je m’abrite sous ma grande ombrelle, et, sûre d’être éloignée de tout danger, puisque j’ai pris le milieu de la dune, je marche les yeux à peu près fermés, me reposant de tant de spectacles divers. Quel réveil !

Comment ai-je l’idée d’écarter un instant mon ombrelle ? Quel esprit bienveillant veillait donc sur moi ? Je ne sais. Mais je poussai un cri d’épouvante en me voyant à quelques mètres d’une immense excavation aux bords à pic et argileux, fléchissant sous les pieds.

J’avais entendu parler de ce puits, communiquant avec la mer, qui s’était formé subitement à une certaine distance du rivage, mais je ne savais pas exactement où s’était fait la désagrégation des rocs. Et je pouvais y tomber et y trouver peut-être la mort !