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seau. Néanmoins, croyant la bataille gagnée, le Petit Conseil n’hésita pas à flétrir dans sa déclaration les Lettres de la Montagne, « ce livre enfanté par le délire et la haine. » Cette flétrissure exaspéra Rousseau, mais un coup autrement douloureux venait de le frapper. Un libelle anonyme : Le sentiment des citoyens, l’accusait d’avoir outragé avec fureur la religion chrétienne et ses ministres, de n’être qu’un vil séditieux, et apprenait au monde entier que l’homme qui s’était posé comme le réformateur de l’humanité traînait à sa suite la malheureuse créature dont il avait, « abjurant tous les sentiments de la nature, exposé les enfants à la porte d’un hôpital. »

Cet homme, s’écrie Tronchin, est un grand malheureux. Ce masque de vertu sous lequel il avait caché sa face catilinaire est arraché. Le méchant se montre à découvert, le méchant est démasqué, ses noirs projets sont au grand jour. Il en sera la dupe, mais en attendant, nos magistrats sont bien à plaindre et tous les honnêtes gens le sont avec eux[1].

Jean-Jacques attribua immédiatement ce libelle au pasteur Vernes avec lequel il s’était brouillé. « M. Vernes s’est justifié, écrit le docteur à Madame Necker, mais Rousseau ne veut rien faire pour effacer sa calomnie. Cela s’appelle maintenir l’unité de son action[2]. »

Est-il besoin de rappeler que l’auteur du Sentiment des citoyens, c’est Voltaire, Voltaire qui, jetant l’huile sur le feu, pressait le Conseil d’agir contre le livre séditieux de la Montagne « comme on agit contre un perturbateur du repos public », et qui écrivait à Tronchin  :

Esculape était peint avec un serpent à ses pieds. C’était apparemment quelque Jean-Jacques qui voulait lui mordre le talon. Il

  1. Mss. Tronchin. Tronchin à son fils, 16 mars 1765, inédit.
  2. Archives de Coppet. Lettre du 18 février 1765, inédite.