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Thorpe de Catherine, est une coquette vulgaire dont seuls des yeux naïfs ne voient pas les manèges pour attirer l’attention des jeunes gens. John Thorpe, le frère de cette remuante et prétentieuse personne, est un gros garçon « laid de visage et gauche de tournure qui se serait cru en danger d’être pris pour un élégant s’il n’avait pas porté des habits de palefrenier. Il aurait craint de passer pour un homme du monde s’il n’avait affecté un air de familiarité là où il aurait du montrer de la réserve et un air d’indifférence où il aurait pu se permettre un peu de familiarité ». Il ne fait pas grâce à la pauvre Catherine d’une seule prouesse de son cheval, animal vraiment unique à l’en croire : « Il ne pourrait pas faire moins de dix milles à l’heure ; vous lui attacheriez les jambes qu’il les ferait quand même ». Et ce lourdaud ne se contente pas de vanter son cheval, sa voiture, sa faconde conduire ; il s’érige en critique et juge du mérite de romans qu’il n’a pas même pris la peine de lire. « Camilla » de Miss Burney, est à ses yeux un ouvrage sans aucune valeur. Il arrive à cette fâcheuse conclusion par un raisonnement admirable. « C’est un roman très bête, écrit par cette femme dont tout le monde vous rabat les oreilles et qui a épousé un émigré français. AΛ’antde savoir cela, j’avais deviné ce que devait être l’ouvrage. Quand on m’eut dit que l’auteur avait épousé un émigré, je fus certain de ne jamais pouvoir arriver à le lire jusqu’au bout ». [1]

Les remarques de John Thorpe au sujet de « Camilla » servent uniquement à mettre en valeur la sottise du jeune homme. Plusieurs autres passages malgré leur tour ironique sont des morceaux de juste et fine critique littéraire. Cette critique perdit bien vite « quelque chose de son actualité » ainsi que le reconnut Jane Austen elle-même, dans l’Avertissement qu’elle écrivit en 1816 pour « L’abbaye de Northanger ». De 1803, époque où elle acheva le roman, à 1816, l’année où elle relut et retoucha une dernière fois son manuscrit, le goût du public avait évolué. Aux crimes, aux

  1. L’abbaye de Northanger. Chap. VII.