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regrets, consent à épouser un homme d’âge mûr dont peu de temps auparavant elle avait dédaigné la solide affection.

Il y a loin, on le voit, de cette intrigue dont le dénouement s’achève sur une perspective de bonheur moyen, fait de renoncement à l’impossible et de compromis avec les dures nécessités de la vie réelle, à la joie radieuse et triomphante qui éclaire les derniers chapitres d’ « Orgueil et Parti pris ». Il ne s’agit plus ici pour les deux héroïnes d’épouser un riche et noble Mr. Darcy ou un séduisant Bingley ; Marianne doit subir une cruelle désillusion et apprendre enfin à aimer l’homme même qu’elle avait dédaigné : « Elle était réservée à un sort peu commun : découvrir l’erreur de ses propres jugements et démentir par sa conduite ses maximes favorites. Elle était destinée à surmonter un attachement formé à l’âge avancé de dix-sept ans, et sans autres sentiments qu’une sincère estime et une vive amitié, à donner volontairement sa main à un autre, à un homme qui avait jadis souffert comme elle d’un premier amour malheureux et que, deux ans auparavant, elle avait jugé trop vieux pour penser au mariage. Et cet homme, à l’heure actuelle, avait toujours besoin, pour protéger sa santé, de porter un gilet de flanelle ». [1]

Ironie de la vie et du sort qui mesurent leurs dons, non pas à notre ambition et à nos désirs, non pas même à notre mérite, mais seulement aux circonstances dans lesquelles nous sommes placés ; contraste douloureux, mais dont il est prudent de sourire et sage de s’accommoder, entre la beauté d’un rêve et les ternes et froides couleurs de la réalité ; inutilité et vanité de toute aspiration qui ne trouve pas dans la raison sa loi et sa mesure, voilà ce que nous enseigne « Bon Sens et Sentimentalité ». Ces leçons de l’expérience et de la raison n’ont cependant rien d’austère. Elles se dégagent naturellement des faits qui nous

  1. Bon Sens et Sentimentalité. Chap. L.