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de vivre d’emprunts, d’intervenir indiscrètement dans le champ d’autrui, comme s’il y avait des compartiments réservés dans le domaine de la science. Gardons-nous d’attacher à ces critiques plus d’importance que ne leur en attribuent sans doute leurs auteurs. En réalité, comme nous verrons, la géographie a bien un domaine qui lui est propre. L’essentiel est de considérer quel usage elle fait des données sur lesquelles elle s’exerce. Leur applique-t-elle des méthodes qui lui appartiennent ? Apporte-t-elle des points de vue d’où les choses puissent apparaître en perspective spéciale, qui les montre sous un jour nouveau ? Toute la question est là. Dans la complexité des phénomènes qui s’entre-croisent dans la nature, il ne doit pas y avoir une seule manière d’aborder l’étude des faits ; il est utile qu’ils soient envisagés sous des angles différents. Et si la géographie reprend à son compte certaines données qui portent une autre estampille, il n’y a rien dans cette appropriation qu’on puisse taxer d’anti-scientifique.


I. — l’unité terrestre.


La géographie comprend par définition l’ensemble de la Terre. Ce fut le mérite des mathématiciens-géographes de l’antiquité, Érathosthènes, Hipparque, Ptolémée, de poser en principe l’unité terrestre[1], de faire prévaloir cette notion au-dessus des descriptions empiriques de contrées. C’est sur cette base que la géographie a pu se développer comme science. L’idée de correspondance, de solidarité entre les phénomènes terrestres, a pénétré ainsi et pris corps, fort lentement il est vrai, car il s’agissait de l’appuyer sur des faits, et non sur de simples hypothèses. Lorsque, au commencement du XIXe siècle, Alexandre De Humboldt et Carl Ritter se firent les initiateurs de ce qu’on appelait alors la géographie comparée, ils se guidaient d’après une vue générale du globe ; et c’est à ce titre que leur impulsion fut féconde.

Tous les progrès accomplis depuis dans la connaissance de la Terre se sont accordés à mieux mettre en lumière ce principe d’unité. S’il est un domaine où il se manifeste avec une souveraine clarté, c’est celui des masses liquides qui couvrent les trois quarts du globe et de l’Océan atmosphérique qui l’enveloppe. Dans les mouvements de l’atmosphère, écrit le météorologiste Dove, « aucune partie ne peut s’isoler, chacune agit sur sa voisine ». C’est ainsi qu’en se répercutant, les bourrasques formées aux abords de Terre-Neuve abordent les côtes de l’Europe occidentale et par contre-coup le Nord de la Méditerranée ; et si on les perd de vue ensuite et que leur marche

  1. J’ai insisté sur ce point de vue dans l’article intitulé : Le principe de la géographie générale (Annales de Géographies, V, 1895-1896, p. 129-142).