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L’ATLANTIDE DE PLATON

les montagnes, sans parler de l’éléphant ; elle produisait toutes les essences d’arbres, toutes les senteurs, toutes les résines et tous les fruits. De telles richesses permirent aux rois de l’Atlantide de bâtir une ville unique au monde, avec ses temples, ses palais royaux, ses ports, ses cales et bassins. À cinquante stades du rivage, la ville était jointe à la mer par un canal de 300 pieds de large et 100 pieds de profondeur, lequel aboutissait au premier fossé circulaire, large de trois stades, que bordait le premier anneau de terre, large de trois stades aussi, qui enfermait un second fossé de deux stades, qui enfermait un second anneau de même largeur, au delà duquel un dernier fossé d’un stade entourait la butte médiane, qui avait cinq stades de diamètre ; sur cette butte, se dressait l’acropole avec son palais, son temple de Posidon, ses statues, ses sources, son hippodrome, sa caserne de la garde. Des canaux faisaient communiquer entre elles les enceintes de mer, et des ponts, les enceintes de terre…

Au temps où Platon décrivait cette ville circulaire et ses anneaux, l’hellénisme était occupé à rebâtir ses villes, sur le plan rectangulaire, qu’Hippodamos de Milet avait fait accepter des Athéniens dans la construction du Pirée[1]. Hippodamos tenait pour des rues parallèles ou se coupant à quatre-vingt-dix degrés ; Aristote, au VIIe livre de sa Politique, approuve cette « nouvelle méthode d’Hippodamos », — ce trope hippodameien qu’avaient adopté Rhodes et Thurium… Est-il invraisemblable que le trope angulaire d’Hippodamos ait pu faire naître par réaction un peu ironique le troche annulaire de Platon ?… Au temps de l’« haussmannisation » de Paris, Edmond About faisait présenter à l’Empereur, par le grognard ressuscité de L’Homme à l’Oreille cassée, le plan d’un Paris nouveau, aussi complet que satirique…

Platon a-t-il voulu railler de même les entreprises géométriques d’Hippodamos ?… Il est un détail, tout au moins, sur lequel l’intention ironique à l’adresse d’un prédécesseur ne semble pas douteuse. Dans les chapitres 178-183 de son premier « discours », Hérodote avait longuement décrit les enceintes, fossés, canaux, portes et tours de Babylone. On avait d’abord, — disait-il, — creusé le fossé et fait avec la terre ainsi extraite des briques que l’on avait cuites au four et que l’on cimentait d’asphalte ; on en avait bâti les bords du fossé, puis la muraille qui avait cinquante coudées royales de largeur et deux cents coudées de haut (25 m. de large sur 100 m. de haut). En haut du mur, on avait construit des bâtisses à façade unique, tournées les unes vers les autres et laissant entre elles le passage d’un char. Sur le pourtour de la muraille, s’ouvraient cent portes, toutes de bronze, avec les montants et les linteaux de même matière. Dans cette enceinte, les

  1. Sur Hippodamos, voir Pauly-Wissowa (1910), p. 1733 ; voir aussi A. Rivaud, Timée et Critias, p. 249.