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maximum de leur bésogne ; un procès-verbal véridique et détaillé ne pourait y rien ajouter[1]. Un jour qu’on représentait à un de ces tyrans subalternes, nommé Dangers, que nous manquions d’eau pour nous faire raser, celui-ci répondit : « Eh bien, ne savez-vous pas ce qu’il faut faire en pareil cas ? Faites-vous raser à sec. »[2].

Le 18 frimaire (8 décembre), nous fûmes placés à la Dète. Nous commencions à respirer ; l’air y est plus pur et on pouvait se promener dans une cour assez spacieuse, et se procurer au poids de l’or les besoins de première nécessité. Les fouilles dégoûtantes de sang rédigées par Hébert ou père du Chêne étaient les avants coureurs d’un massacre prochain. Tantôt, en parlant d’Antiboul, un des vingt-et-un députés guillotinés nouvellement, il disait : « Cet imbécile a été guillotiné, les 63 députés arrêtés, plus coupables cent fois que celui-ci, pourquoi vivent-ils encore ? » Tantôt il provoquoit la vengeance du peuple sur nos têtes en disant : « Tant que les députés que vous avez en arrestation à la prison de La Force existent, vous êtes surs de manquer de subsistance ». Quelqu’autres feuilles disoient : « Législateurs, frappez tant que le fer est chaud » ; d’autres enfin parlant de la Convention avertissoient, d’« écumer le pot », etc. etc. etc. Hanriot, général de la force armée parisienne invitait les sans-culottes à jetter leurs regards sur les prisons, qu’il ne cessoit de dépeindre comme les foyers de la contrerévolution. Les Jacobins demandaient notre mise on jugement. Grand dieu, que tu es puissant ![3]

Pendant deux mois, nous avons vécu tranquilles dans nos cachots ; les gens enfermés dans l’antre du Cyclope y vivoient aussi tranquilles en attendant que leur tour vint d’être dévorés. Une lueur d’espérance qu’on nous fit apercevoir du retour de la justice bannie depuis quelque temps du sol français auroit consolé tout autre que nous qui connoissions trop bien le génie mal-faisant de nos persécuteurs et en voici comment.

Vers le mois de germinal (mars-avril 1794), on annonça une Commission chargée de mettre en liberté, après avoir conféré avec le Comité de Sûreté générale de la Convention, tous ceux des détenus contre lesquels il n’y

  1. M. Kernéis a lu : « …Quelques injures grossières et amères à tort et à travers… Un procès-verbal véridique et détaillé ne pouvait guère y rien ajouter. »
  2. Le compagnon de captivité de Quéinnec, le conventionnel Fleury raconte la même anecdote, mais un peu différemment, car Dangers a nom « Wiclrich, cordonnier allemand ». V. Kerviler : Recherches sur les députés de la Bretagne aux États généraux de 1789, t. I, p. 314.
  3. Dans son ouvrage Thermidor, M. Ernest Hamel cite une lettre qu’auraient écrite à Robespierre, le 29 nivôse an II (18 janvier 1794) les députés Hecquet, Quéinnec, Saint-Prix, Blad, Vincent et Arnault : « Citoyen, notre collègue, lui disaient-ils, au nom de leurs compagnons, d’infortune, nous avons emporté du sein de la Convention, et dans notre captivité, un sentiment profond de reconnaissance, excité par l’opposition généreuse que tu formas, le 3 octobre, à l’accusation proposée contre nous. La mort aura flétri notre cœur avant que cet acte de bienfaisance en soit effacé. »

    Nous n’avons trouvé qu’un seul conventionnel du nom d’Arnault. C’est un 2e suppléant de la Vendée, qui n’eut pas l’occasion de siéger.