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Nous voilà livrés à des hommes que chacun de nous a regardé comme les ennemis de notre païs, à des Municipaux auxquels nous n’avons jamais cessé de demander des comptes sans jamais pouvoir rien obtenir ; voilà Pache, qui par ces considérations, avons chassé du ministère de la guerre, et nommé huit jours après Maire de Paris, devenu notre souverain. Nous voilà enfin la proie de ces bêtes carnassières dont on se rappellera avec horreur. Je continue.

Vers midi, des officiers de paix nous emmenèrent à l’apposition de nos scellés. La plupart de ceux-ci et des membres révolutionnaires de section se renfermèrent dans les bornes prescrites par la loi, mais d’autres donnèrent arbitrairement à plusieurs d’entre nous un et même plusieurs gardes de rigueur, quoiqu’il s’en présentât d’officieux. Chez quelqu’uns ils ne se contentèrent pas de mettre des scellés sur les papiers, ils les apposèrent encore sur les linges et habits. Chez moi, leur scrupule les poussa à les apposer non seulement sur mes papiers, linge et habits, mais aussi sur mes croisées et sur la porte de ma chambre. Comme je n’ambitionne que le bonheur de mon païs, ils ne devoient pas me ménager.

Le Comité révolutionnaire de la section de l’Unité déclara notre collègue Delammare[1] suspect pour n’avoir pas monté sa garde en personne et s’empara de son habit-uniforme et de son sabre. Ces effets valoient bien la peine.

Le même jour, on nous conduisit à la Force. Cette prison, non compris les départements des femmes qui sont séparés de ceux des hommes par des cours entourées de murs très élevés, est divisée en cinq pièces : l’Habit au lait[2], la Police, l’Infirmerie, la Dette et le Bâtiment neuf.

C’est dans cette dernière partie de la prison, destinée dans tous les tems aux faussaires, aux prévenus de vol et d’assassinat qu’on nous a placés. Après avoir franchi deux cours et quatre guichets, dont chacun est gardé par un porte-clefs, nous y arrivâmes. On nous fit monter cent trente deux marches, au quatrième étage sous une voûte très basse, où l’air ne pénètre que par quatre petites lucarnes, pratiquées d’un seul côté, au Nord. Ceux qui avoient des matelas (je n’en avois pas et je n’ai pu m’en procurer que le cinquième jour), les étendirent sur des lits de camps, ou sur le pavé. Nous étions près de quatre-vingt entassés les uns sur les autres ; près la porte étoient les bacquets ou sceaux, en terme de prison griaches, destinés à cet effet.

À 9 ou 10 heures du soir, trois ou quatre guichetiers épris de vin, avec autant de chiens en arrêt, arrivent et font l’appel. Leur besogne achevée, ils sortent et ferment nos portes de fer avec grand fracas.

À 10 heures du matin, on nous ouvre, et au moyen d’un escalier obscur et vérouillé dans trois ou quatre endroits différens, nous descendons dans

  1. Ou plutôt « Delamaire », dit M. Kernéis, qui fait erreur, car il n’y eut jamais de conventionnel de ce nom. Il s’agit de Delamarre (Antoine), de l’Oise.
  2. Le récit qu’a fait de sa détention le conventionnel Fleury (des Côtes-du-Nord), peut compléter parfois celui de Quéinnec. Le quartier que ce dernier appelle l’« Habit au lait », est désigné par Fleury sous le nom de « Gile-au-lad ». (V. Kerviler : Recherches, etc., tome I, p. 311).