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ANNALES D’HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

l’abri des conséquences d’une banqueroute en se munissant de « valeurs-or », quelles qu’elles soient. L’activité, qui règne dans beaucoup d’entreprises, ne s’explique souvent que par cette passion d’achat. Au point de vue commercial, elle est intense jusqu’en 1923. Le trafic des grands ports en témoigne ; de même, le nombre insignifiant des chômeurs.

Quoique considérable, la production n’arrive pas encore au niveau de 1913. Si le nombre des individus voués à l’activité économique est supérieur en 1922 à ce qu’il était en 1913, leur rendement utile est moindre ; car le travail a diminué de durée et d’intensité et une activité improductive d’intermédiaires commerciaux est déterminée par la spéculation que provoque la dépréciation monétaire.

Du fait de l’état du change, l’industrie allemande est livrée à des fatalités fantaisistes. L’instabilité politique et sociale, les luttes des partis, les brusques contradictions de la politique intérieure et extérieure renforcent ses angoisses.

Durant l’occupation de la Ruhr, le mark s’avilit avec une vitesse qui s’accélère follement et donne l’impression d’un détraquement universel. Le cours du dollar passe de 4 620 455 marks en août 1923, à 98 860 000 en septembre, 25 260 000 000 en octobre, 2 193 600 000 000 en novembre et 4 200 000 000 000 au début de décembre. La circulation fiduciaire s’élève de 2 000 milliards en janvier 1023, à 43 183 milliards en juillet, 669 000 milliards en août, 28 millions de milliards en septembre, 2 millions et demi de trillions en octobre, plus de 400 millions de trillions en novembre. La valeur-or de ces amas de papier se réduit pratiquement à zéro. Toute la circulation fiduciaire de janvier 1923 ne suffit plus, onze mois plus tard, à l’achat d’une côtelette. Au milieu des orgies de l’inflation, la monnaie ne répond plus aux besoins des transactions courantes. Indéfiniment multipliée, elle devient inutilisable, et le numéraire manque dans un tourbillon de billets. Gouvernement, États, municipalités, sociétés industrielles, organisations agricoles, chambres de commerce sont obligés de créer de nouveaux moyens de paiement.

Plutôt que de recevoir des marks illusoires, beaucoup d’entreprises se refusent, ouvertement ou non, à vendre leurs marchandises, L’agonie du mark-papier bouleverse la vie économique et conduit le pays à une ruine qui apparaît irrésistible. Depuis le printemps de 1923, une sorte de vertige emporte les prix intérieurs pour les adapter aux prix pratiqués sur les marchés extérieurs. Longtemps les premiers restent inférieurs aux seconds. Dans l’été, malgré l’effondrement total du mark, ils finissent par dépasser dans beaucoup d’industries