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L’INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN ÂGE

finies, s’installaient comme écrivains publics, comme scribes de l’échevinage, comme commis de commerce.

L’abondance de ces derniers était très grande dès le xiiie siècle. Les marchands les plus riches et les industriels les plus considérables en occupaient à la tenue de leurs livres et de leur correspondance. On en trouvait à Douai chez Simon Malet[1], chez Johan Boinebroke[2] et ce que nous savons à leur sujet nous devons l’appliquer à leurs pareils de Gand, de Bruges, d’Ypres, de Lille et d’Arras. Le commerce de l’argent et celui des marchandises ont dès lors acquis une ampleur qui requiert la collaboration continuelle de la plume. Il n’est pas d’homme d’affaires de quelque importance qui ne conserve soigneusement dans une « huge »[3] ses livres de commerce, ses chirographes et ses lettres.

Les foires de Champagne, qui, au xiiie siècle, sont, pour les marchands et les industriels de Flandre, tout à la fois un marché permanent et un « clearing house », donnent lieu à une correspondance perpétuelle. Durant leur tenue, les « clercs des foires » vont et viennent perpétuellement entre Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube et les grandes villes du bassin de l’Escaut, la mallette gonflée de parchemins où s’inscrit le mouvement d’affaires le plus important qui soit au Nord des Alpes[4].

On voudrait savoir comment l’enseignement se donnait dans les écoles où les marchands de Flandre ont acquis leur instruction. Il faut nous résigner à n’en connaître que bien peu de choses. Au début, certainement, l’enseignement ne se faisait qu’en latin. On a vu plus haut que le Caton, c’est-à-dire le manuel scolaire si répandu au moyen âge sous le nom de Distica Catonis, était en usage dans les petites écoles. Dans les grandes on devait s’appliquer particulièrement à la rédaction des lettres missives. Un curieux manuscrit de la Bibliothèque de l’Université de Gand, datant de la fin du xiiie siècle, comprend quantité de modèles épistolaires que les maîtres dictaient sans doute à leurs élèves. On y relève, à côté de lettres traitant d’affaires ecclésiastiques et civiles d’une extraordinaire variété, des exemples curieux de correspondance commerciale[5]. Je citerai dans ce genre la demande, adressée par l’abbé de Saint-Pierre de Gand aux préposés aux tonlieux sur l’Escaut, de laisser passer librement deux bateaux chargés de cinquante-quatre fûts de vin, et la recommandation d’un bourgeois de Bruges à un correspondant anglais de n’envoyer aucune

  1. H. R. Duthillœul, Douai et Lille au xiiie siècle, Douai, 1850, p. 26, 62.
  2. G. Espinas et H. Pirenne, Recueil de documents relatifs à l’histoire de l’industrie drapière en Flandre, t. II, p. 188.
  3. En 1301, Jacques Le Blont de Douai avait « une huge… où il avoit plusieurs chartres, pluseurs letres et pluseurs cirographes de detes con lui devoit en Brabant et ailleurs ». G. Espinas, La vie urbaine de Douai au moyen âge, t. IV, p. 6.
  4. Duthillœul, op. cit., p. 26, 55, 74, 76, 130.
  5. N. de Pauw, La vie intime en Flandre au moyen âge d’après des documents inédits (Bullet. de la Commission royale d’histoire, t. LXXXII, 1913, p. 1 et suiv).