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ANNALES D’HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

de tours donnaient aux villes de Flandre leur aspect caractéristique, aient attendu très longtemps avant de s’aviser d’un moyen qui leur permettait de diriger et de contrôler l’instruction de leurs enfants. Rien n’était plus facile que de se procurer à prix d’argent les services d’un clerc et de le transformer en précepteur[1].

L’éducation à domicile, mieux adaptée très certainement que ne l’était l’éducation monastique aux besoins et aux aspirations de la bourgeoisie marchande du xiie siècle, n’était accessible qu’à ce petit nombre de privilégiés de la fortune que les textes du temps appellent majores, divites, otiosi, homines hereditarii, et auxquels les historiens donnent assez inexactement le nom de patriciens. Mais il va de soi que plus croissait le nombre de ceux qui vivaient du commerce et de l’industrie, plus aussi se généralisait la nécessité de l’instruction. Les pouvoirs municipaux ne pouvaient se désintéresser d’une question aussi urgente. Et il est naturel qu’ils s’en soient occupés tout d’abord dans les régions qui se distinguent par la rapidité de leur développement économique. De même que la Flandre a pris l’avance à cet égard sur le reste de l’Europe au Nord des Alpes, de même c’est dans ses villes que l’on voit se poser pour la première fois, à ma connaissance, ce que l’on pourrait appeler la question des écoles[2].

Le hasard nous a conservé par bonheur un nombre de documents assez nombreux pour nous permettre de voir comment elle y surgit et de quelle manière elle y fut résolue.

Dès le xe siècle, les comtes de Flandre avaient fait élever en plusieurs points sur leur territoire, des enceintes fortifiées, burgi ou castra, destinées à servir de lieux de refuge, en cas de guerre, à la population des alentours et qui, en temps de paix, étaient les centres de l’administration judiciaire et économique de la « châtellenie » qui s’étendait autour de leurs murailles. Le comte, résidant périodiquement dans chacune d’elles, les avait aménagées en conséquence. Il y possédait non seulement un donjon affecté à sa demeure et des magasins de toute sorte où venaient s’entasser les produits des domaines qu’il possédait aux environs et qui, durant ses séjours, ser-

  1. « Quicunque burgensis liberos suos seu alios de familia sua manentes in domo propria per clericum suum in domo sua eudiri voluerit, hoc ei licebit, dummodo alios discipulos sub isto praetextu una cum preadictis ipsi clerico non liceat erudire. » Warnkoenig-Gheldolf, Histoire d’Ypres, Paris, Bruxelles, 1864, p. 370. On voit que le texte fait allusion à une pratique courante et sans doute déjà fort ancienne.
  2. Peut-être cette affirmation est-elle trop catégorique. Des recherches ultérieures lui apporteront, le cas échéant, les correctifs nécessaires. Le comté de Flandre figure en tout cas en bonne place, puisque dès le xiie siècle, toutes ses grandes villes sont pourvues d’écoles urbaines, alors que ce n’est guère qu’au xiiie qu’elles apparaissent dans le reste de l’Europe. Il faut naturellement excepter l’Italie. L’instruction des marchands au xiiie siècle y apparaît tellement développée et supérieure à ce qu’elle est dans les régions du Nord, qu’on est forcé d’admettre qu’elle s’y appuie sur un long passé (Cf. A. Sapori, I mutui dei mercanti fiorentini del trecento. Rivista del diritho commerciale, 1928, p. 223). Malheureusement on y aperçoit bien peu de choses des origines. Je signale à l’attention des érudits italiens la mention en 1256 à Saint-Trond de scriptores de marchands de Sienne. Voy. H. Pirenne, Le livre de l’abbé Guillaume de Ryckel, Bruxelles, 1896, p. 335.