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ANNALES D’HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

tant une fois par semaine au marché du bourg voisin quelques œufs, quelques légumes ou quelques volailles, ou bien de ces colporteurs ambulants, chargés d’une banne dont ils exposent en vente le pauvre contenu hétéroclite à la porte des églises, aux jours de pélerinages[1]. Seuls un petit nombre de Juifs, venus d’Espagne pour la plupart, pratiquent sporadiquement l’importation d’épices ou d’étoffes précieuses d’origine orientale. Le faible volume de ces produits de luxe permet de les transporter facilement et leur rareté garantit d’importants bénéfices. Nul doute que les traditions et la culture commerciales ne se soient conservées chez ces Israélites en rapports constants avec leurs coreligionnaires des contrées islamiques ou byzantines. Mais trop peu nombreux, trop différents de la population, trop détestés d’ailleurs par suite de leur religion, ils n’ont exercé sur le commerce indigène aucune influence. En somme, depuis les débuts de l’époque carolingienne, ce qu’il subsiste de celui-ci n’est plus qu’aux mains d’illettrés.

Il est intéressant de se demander pendant combien de temps cette situation s’est prolongée. Car s’il fallait admettre, comme on l’a prétendu, qu’elle a duré jusqu’à la fin du moyen âge[2], il en résulterait que, malgré les apparences, l’époque qui a vu se constituer les villes et se développer les premières industries de l’Europe, n’aurait point dépassé en somme, le stade d’une organisation commerciale tout à fait rudimentaire. Nous connaissons assez cette organisation pour pouvoir affirmer qu’elle a été beaucoup plus avancée que certaines théories ne veulent le reconnaître. Cependant on ne s’est guère occupé jusqu’ici de savoir dans quelle mesure les marchands qui l’ont créée étaient instruits, et quelle était la nature de l’instruction qu’ils avaient reçue. La question vaut qu’on s’en occupe. Il est trop évident qu’on peut en attendre une appréciation plus exacte des progrès et des modalités de la vie économique médiévale.

En lui consacrant les quelques pages qui suivent, je n’ai prétendu, faut-il le dire ? qu’y apporter une modeste contribution. Pour la traiter comme elle le mérite, des recherches beaucoup plus étendues que celles que j’ai pu faire seraient indispensables. Aussi bien, mon but n’est-il que de signaler l’importance d’un sujet trop négligé. Tout coup de sonde dans un terrain vierge ne peut manquer de donner quelques

  1. H. Pirenne, Les villes du moyen âge, Bruxelles, 1927, p. 27 et suiv. Rien ne serait plus instructif qu’une étude détaillée sur les soi-disant marchands de l’époque de stagnation économique du viiie au xie siècle.
  2. W. Sombart, Modernes Kapitalismus, t. I, 4e édition, p. 295. — On trouvera dans l’ouvrage récent de M. Fritz Rörig, Hansische Beiträge zur Deutschen Wirtschaftsgeschichte, Breslau, 1928, p. 191, 219, 234, d’excellentes remarques sur l’impossibilité d’admettre que le commerce des villes hanséatiques ait été pratiqué par des marchands illettrés. Davidsohn, Geschichte von Florenz, t. I, p. 807, considère que, dès le xie siècle, le commerce florentin est trop développé pour ne pas avoir exigé de ceux qui le pratiquaient un certain degré d’instruction. Cf. encore A. Luschin von Ebengreuth, Wiens Münzwesen, Handel und Verkehr im späteren Mittelalter, Vienne, 1902, p. 106, 107.