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LOUIS BOUILHET

Autre part, le poëte se compare à l’oiseleur qui guette les oiseaux avec des pièges ; ne chasse-t-il pas les idées avec un trébuchet fait de rimes pour les enfermer dans une cage d’or ?

Les plaines, au loin de fleurs sont brodées.
Parmi les oiseaux et les papillons,
J’entends bourdonner l’essaim des Idées
Qui flotte au soleil en blancs tourbillons !

Comme un aigrefin méditant ses crimes.
Sans perdre un moment, j’apprête, en sournois,
Un beau trébuchet fait avec des rimes ;
Et j’attends, — caché dans le fond des bois.

Toutes !… les voici toutes !… à la file !
Hésitant un peu, n’osant approcher.
Parfois un manant qui sort de la ville
Vient, d’un bruit de pas, les effaroucher.

Moi, je reste là, sans voix, sans haleine,
L’oreille et les yeux sur mon traquenard.
Si la gibecière est à moitié pleine,
Je rentre au logis plus fier qu’un renard.

Et c’est sous mes doigts un bruit d’étincelles,
Quand j’ouvre le sac où tient mon trésor.
Et que je les prends, par le bout des ailes.
Pour les enfermer dans leurs cages d’or !…[1].

Est-il possible d’être plus élégant et plus harmonieux ? N’y a-t-il pas là, et surtout dans Chronique du Printemps, comme un air de parenté avec certaines poésies d’Autran ?[2].

C’est plaisir de voir notre poëte guettant les idées au coin des bois, dans les prairies blanches de rosée, parmi les fleurs[3], abri des sylphes, qui frémissent frôlées par l’aile des papillons ou l’écharpe des fées, sur les montagnes où se heurtent l’ombre et la lumière, sur les

  1. L’oiseleur. Il est intéressant de rapprocher cette poésie de celle de Prosper Blanchemain intitulée le Pêcheur d’idées.
  2. Autran, La vie rurale, journal de campagne, à un journaliste.
  3. L’esprit des fleurs.