Page:Angot - Louis Bouilhet, 1885.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
LOUIS BOUILHET

douces, ses joies les plus durables. N’est-ce pas lui-même qui prend le soin de nous le dire ?…

Je l’ai gardé ce bon baiser de Muse !
Comme une perle, il rayonne à mon front ;
Et désormais, qu’on me flatte ou m’accuse,
Sans l’effacer les soucis passeront.

Je l’ai gardé ce baiser de poëte !
Comme un bon vin qui réchauffe au départ,
Quand sur le seuil, au chant de l’alouette,
Le cheval brun hennit dans le brouillard !… etc.[1].

Une pareille profession de foi poétique ne peut être que sincère. Et c’est bien un poêle que nous avons à juger avec ses élans, ses enthousiasmes, ses espérances et ses souvenirs.

Mais fut-il un poëte lyrique ? — Chose extraordinaire ! Ce n’est ni dans Festons et Astragales, ni dans les Dernières Chansons que Louis Bouilhet a donné à son vers le plus d’ampleur et d’essor. Telles strophes de Melœnis, tels passages de ses drames ont plus de mouvement et de souffle que mainte pièce de ces deux recueils. Bouilhet ne se mêle pas avec assez de passion au tourbillon vivant des choses et des hommes. Il semble trop souvent, l’âme sereine, regarder en spectateur désintéressé ce qui s’offre à ses yeux. L’histoire et la vie déroulent devant lui leurs multiples tableaux, il paraît dédaigner d’y figurer comme acteur, et de descendre lui-même dans la carrière. La nature lui montre ses mystérieux phénomènes, il n’en cherche pas les sec-rets avec ardeur et ne désire point, nouveau Faust, se plonger dans son sein. Il se contente de laisser passer les choses et de les peindre avec leurs contours et leur couleur. Son lyrisme est tout de surface ; c’est plutôt une description élégiaque émue et heureuse qu’une

  1. Baiser de Muse.