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cœur a la seigneurie sur les yeux, et écoutez en quelle manière : l’amour ne sort pas des yeux si le cœur n’y consent, tandis que, sans les yeux, le cœur peut aimer celle qu’il n’a jamais vue en réalité, comme Jaufre Rudel fit de son amie. » « Seigneur Guiraut, si les yeux de ma dame me sont hostiles, peu m’importe le cœur ; mais si elle me montre un regard avenant, elle me prend le cœur et le met en sa puissance. Voici en quoi consiste le pouvoir et la hardiesse du cœur : par les yeux l’amour descend dans le cœur et les yeux disent, par un agréable langage, ce que le cœur ne peut ni n’oserait dire. »

Le jugement de cette subtile et gracieuse discussion est renvoyé à une noble dame du château de Pierrefeu, en Provence. Il n’est pas rare que les tensons se terminent par un envoi de ce genre. La tenson est, elle aussi, elle surtout, un produit de la société courtoise du temps. Elle reste comme un écho de cette société. Dans son cadre un peu grêle elle la fait revivre avec sa courtoisie et aussi son amour de la préciosité ou de la convention, et on peut voir, dans les tensons à trois ou quatre personnages qui nous restent, les origines lointaines de la comédie de salon.

Avec la pastourelle[1], nous arrivons à un genre qui paraît, au premier abord, être resté plus près de son origine populaire. Voici en quoi il consiste. Le poète, pendant un voyage, rencontre une bergère ; elle est jeune, avenante, chante ou tresse des fleurs en gardant son troupeau. Le poète la salue courtoi-

  1. Une des études les plus récentes sur la pastourelle est celle de M. A. Pillet, Studien zur Pastourelle, Breslau, 1902 (extrait de la Festschrift zum zehnten deutschen Neuphilologentag).