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Elle y broda toute son âme, et des larmes d’amour ont sanctifié la tapisserie brodée de soie qui représente le tableau suivant :

Comment la comtesse vit Rudel mourant couché sur le rivage, et reconnut dans ses traits l’image de ses rêves.

Rudel aussi a vu ici pour la première et pour la dernière fois en réalité la dame qui l’a si souvent charmé dans ses rêves.

Sur lui se penche la comtesse ; elle le tient amoureusement dans ses bras ; elle embrasse le pâle visage de celui qui a si bien chanté ses louanges.

Dans le château de Blaye, toutes les nuits, il y a comme un bruit de vêtements, comme un frémissement. Les figures des tapisseries commencent soudain à s’animer. Le troubadour et sa dame secouent leurs membres endormis, sortent du mur et se promènent à travers les salles.

Tendres propos, doux badinage, mélancoliques secrets, galanterie posthume de l’époque des chants d’amour.

« Geoffroy, mon cœur mort est réchauffé par ta voix ; dans les charbons depuis longtemps éteints je sens une nouvelle flamme.

« — Mélisande ! Bonheur et Fleur ! Quand je te regarde dans les yeux, je revis, moi aussi ; mon mal terrestre, mes souffrances terrestres sont seules mortes.

« — Geoffroy, nous nous aimions ainsi jadis en rêve ; et maintenant nous nous aimons aussi dans la mort. Le Dieu de l’amour a fait ce miracle.

« — Mélisande, qu’est-ce que le rêve ? Qu’est-ce que la mort ? De vaines paroles ; dans l’amour seul est la réalité — et je t’aime, ô éternellement belle.

« — Geoffroy, comme il fait bon ici, dans la salle silencieuse éclairée par la lune ; je ne voudrais jamais plus sortir aux rayons du soleil.

« — Mélisande, chère folle, tu es toi-même la lumière et le soleil. Partout où tu passes fleurit le printemps, l’amour et la joie du mois de mai sortent de terre. »

C’est ainsi que devisent, en se promenant, ces tendres