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dura leur amour, avant que le vicomte et ses compagnons l’eussent remarqué : quand il s’en aperçut, il s’éloigna de son poète et fit enfermer et garder sévèrement la dame. Celle-ci fit donner congé à Bernard, en lui disant de quitter le pays. Et il partit ; il s’en alla vers la duchesse de Normandie, qui était jeune et de grand mérite. » Bernard de Ventadour trouva auprès d’elle un excellent accueil. Mais bientôt elle devint la femme du roi Henri d’Angleterre[1]. « Et Bernard resta triste et dolent ; il s’en vint vers le bon comte de Toulouse et demeura auprès de lui jusqu’à la mort du comte. À ce moment, de douleur, il se retira à l’abbaye de Dalon ; c’est là qu’il mourut. »

Plusieurs points sont à remarquer dans ce récit. C’est d’abord le soin que prend le vicomte poète du fils d’un de ses plus humbles serviteurs, en qui il reconnaît des dons poétiques. Et c’est aussi l’ingratitude de cet enfant gâté, mais c’est surtout la punition dont elle fut payée. Par ce temps de haute et basse justice, la vie d’un pauvre poète pouvait paraître peu de chose. Mais le seigneur de Ventadour se contenta de lui marquer sa froideur en ne l’admettant plus dans son intimité.

Tout autre fut, en pareille occurrence, la conduite d’un grand seigneur du Roussillon. Voici comment le chroniqueur anonyme raconte l’histoire.

Guillem de Capestang était un chevalier de la contrée du Roussillon, voisine de la Catalogne et du Narbonnais. Il était très beau, très bon cavalier et très courtois. Il y avait dans la contrée une dame appelée Seremonde, femme du seigneur de Castel-Roussillon. Celui-ci était un homme riche, mais dur,

  1. La duchesse de Normandie était Éléonore d’Aquitaine, petite-fille du premier troubadour, Guillaume, comte, de Poitiers, épouse divorcée de Louis VII depuis 1152. C’est entre 1152 et 1154 que Bernard de Ventadour aurait séjourné à sa cour ; cf. Diez, L. W., p. 25.