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retrouve les réflexions les plus connues sur les biens qui viennent d’amour et qui récompensent en peu de temps une longue attente.

La plupart ont chanté d’amour par effort et sans loyauté ; mais ma dame me doit savoir gré que j’ai toujours chanté sincèrement ; ma bonne foi m’a rendu sincère, ainsi que l’amour qui remplit mon cœur…

Oui, j’ai aimé d’un cœur parfait et je n’aimerai jamais autrement ; elle a bien pu s’en assurer, ma dame, pour peu qu’elle y ait pris garde. Je ne dis pas que j’ai été peiné de la voir refuser mes demandes ; puisque toutes mes pensées vont à elle, je m’estime heureux de ce qu’elle m’accorde.

Quoique j’aie été loin du pays où sont mon bien et ma joie, je n’ai pas oublié d’aimer bien et loyalement. Si la récompense a tardé je me suis consolé en pensant qu’en peu de temps on obtient ce qu’on a longtemps désiré.

Amour m’a démontré par raisonnement qu’un amant parfait patiente et attend, qu’il appartient à l’amour, qu’il est en son pouvoir et qu’il doit implorer sincèrement sa pitié[1]

Enfin terminons cette rapide revue en empruntant quelques couplets à une chanson du roi de Navarre, Thibaut IV, comte de Champagne.

Mes grands désirs et mes plus graves tourments viennent de là où sont toutes mes pensées. Et j’ai peur, car tous ceux qui ont vu son beau corps sont épris de ma dame, Dieu lui-même l’aime, je le sais à bon escient…

Je me demande, dans mon étonnement, où Dieu trouva une si étrange beauté. Quand il la mit ici-bas, sur la terre, il nous témoigna beaucoup de bonté ; le monde entier a resplendi de son éclat… Dieu, comme il me fut pénible de me séparer d’elle ! Amour, par pitié, faites-lui savoir ceci : un cœur qui n’aime pas ne peut pas avoir grande joie[2].

  1. Bartsch, Chr.
  2. Bartsch, Ibid., p. 184.