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des troubadours de la décadence s’y prêtait encore davantage. Leur amour était un amour épuré, idéalisé, mystique déjà par plus d’un côté. Ainsi la conception sensuelle de l’amour du comte de Poitiers aboutissait par une lente évolution, que les événements politiques et religieux dont le Midi fut le théâtre au xiiie siècle avaient précipitée, à la théorie de l’amour religieux telle qu’elle apparaît chez les derniers troubadours.

En considérant cet aboutissement final la pensée se reporte involontairement à la belle poésie où un des plus grands poètes modernes a exprimé en traits de génie l’opposition entre le paganisme et le christianisme. Un jour vint d’Athènes à Corinthe un jeune homme qui y était inconnu ; il allait chez un habitant de la ville, ami de son père ; les deux pères avaient fiancé leurs deux enfants. Reçu dans la famille par la mère qui veillait seule au milieu de la nuit, il se retira dans sa chambre, brisé de fatigue ; il vit bientôt venir à lui une jeune fille, habillée et voilée de blanc, le front orné d’un ruban noir et or. « Reste, belle enfant, dit-il ; là sont les dons de Cérès et de Bacchus et tu apportes l’amour, ô chère enfant. — Reste debout, jeune homme, reste loin ; je n’appartiens pas à la joie ; le dernier pas, hélas ! est dû à la folie de ma bonne mère qui fit après sa guérison le vœu suivant : que Jeunesse et Nature soient désormais soumises au Ciel. Et aussitôt le tourbillon mêlé des anciens dieux a quitté la maison. »

C’est ainsi que s’exprime Gœthe dans la Fiancée de Corinthe. « Quand une croyance germe, dit-il dans la